La France souhaite une discussion « sans tabou » sur les relations de l’Union européenne avec la Turquie

Il est rare qu’un compte-rendu du Bureau de l’Assemblée parlementaire de l’Otan [AP-Otan], qui, sur le plan institutionnel, est distincte de l’Alliance, fasse l’objet d’un communiqué de la part des sénateurs et des députés français. Et c’est pourtant ce qu’il s’est produit, ce 24 juin.

Rappelant que l’AP-Otan offre aux parlementaires des 30 pays membres de l’Otan un cadre « leur permettant de débattre de la sécurité de l’Alliance, des enjeux liés à la sécurité de la zone euro-atlantique », un communiqué diffusé par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées a déploré que le très sérieux incident ayant récemment impliqué la frégate française Courbet et des navires de guerre turcs en Méditerranée, n’ait fait l’objet d’aucun débat à l’occasion d’une réunion de son bureau.

« Au nom de la délégation française dans son ensemble, Philippe Folliot, président, et Christian Cambon, vice-président, regrettent donc profondément que la réunion du Bureau de l’Assemblée parlementaire n’ait pas été, comme l’atteste son compte-rendu, l’occasion explicite de discuter du comportement hostile et inacceptable de navires militaires turcs à l’égard de la frégate Courbet, navire d’un Allié de l’Otan sous commandement Otan menant une mission Otan », lit-on dans ce texte.

Et ce dernier d’insister : « Un incident de cette gravité entre deux Alliés ne peut que générer de la méfiance là où, pour pouvoir agir ensemble, il faut de la confiance. Ce sujet touche le cœur même du processus de réflexion stratégique de l’Otan, qui doit définir une vision partagée des risques et des menaces et garantir une meilleure coordination sur tous les sujets qui ont un impact sur tous les Alliés. »

Si l’Otan fait mine ne regarder ailleurs [même si une enquête sur cet incident a été promise par son secrétaire général, Jens Stoltenberg], l’Union européenne pourrait adopter une attitude différente, même si la Turquie n’en fait pas partie.

L’intervention turque en Libye concerne les 27 à plus d’un titre. À commencer par les conséquences qu’elle suppose pour deux de ses membres, à savoir la Grèce et la République de Chypre, en Méditerranée orientale, où la Turquie cherche à s’inviter dans l’exploitation de gaz naturel et à torpiller le projet de gazoduc EastMed, via un accord sur ses frontières maritimes signés avec le gouvernement d’union nationale [GNA]de Tripoli, qu’elle soutient militairement face à son rival installé à Tobrouk. Ou bien encore par la question des migrants, instrumentalisée par Ankara.

Ce 24 juin, lors d’une visite à la frontière gréco-turque avec le chef de la diplomatie grecque, Nikos Dendias, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell, s’est montré ferme. « Nous sommes déterminés à protéger les frontières extérieures de l’Union Européenne et soutenir la souveraineté de la Grèce », a-t-il lancé.

Et cela alors que le ministre grec venait d’affirmer que, « après un bref répit en raison de la pandémie, la Turquie a de nouveau déclaré que ses frontières terrestres avec l’Europe étaient ouvertes. » Et d’ajouter ; « Dans le même temps, les garde-côtes [turcs] escortent des bateaux chargés de migrants vers les îles grecques. » En outre, pour M. Dendias, Ankara « persiste à saper la sécurité et la stabilité, ainsi que la paix, en Méditerranée orientale ».

Sur ce point, M. Borell a dit « partager l’inquiétude » des autorités grecques et assurer vouloir tout mettre en oeuvre « pour arrêter cette dynamique d’escalade [des tensions] », en cherchant « à dialoguer avec la Turquie afin de protéger les intérêts [communs] et renforcer la stabilité régionale. » Jusqu’à présent, les tentatives de discuter avec Ankara, notamment au sujet des forages gaziers dans les eaux chypriotes, ont fait chou blanc.

Justement, à propos de dialogue avec la Turquie, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, veut que les choses soient tirées au clair.

« La France estime indispensable que l’Union européenne ouvre très vite une discussion de fond, sans tabou, sans naïveté sur les perspectives de la relation future de l’UE avec Ankara et que l’UE défende fermement ses propres intérêts car elle en a les moyens », a ainsi déclaré M. Le Drian, devant les sénateurs, lors de la séance des questions au gouvernement.

« Il faut des clarifications sur le rôle que la Turquie entend jouer en Libye où j’estime que nous assistons à une syrianisation de la Libye puisque l’intervention militaire de la Turquie se fait par des supplétifs syriens », a conclu le chef de Quai d’Orsay.

Photo : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

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