Pour le président Macron, le comportement de la Turquie en Libye est « inacceptable »

Le sérieux incident qui, en Méditerranée, a opposé la frégate légère furtive française « Courbet » à des navires militaires turcs qui escortaient le cargo Cirkin, suspecté d’acheminer des armes en Libye en violation d’un embargo décrété par les Nations unies est l’illustration, pour le président Macron, des propos qu’il avait tenus en novembre 2019 au sujet de l’Otan.

« Je vous renvoie à mes déclarations de la fin de l’année dernière sur la mort cérébrale de l’Otan. Je considère que c’est une des plus belles démonstrations qui soient », a en effet déclaré le président français, après avoir reçu Kaïs Saïed, son homologue tunisien, à l’Élysée, le 22 juin.

Pour rappel, le 10 juin dernier, alors qu’elle s’apprêtait à contrôler le cargo Cirkin à la demande du commandement maritime allié de l’Otan [MARCOM], la frégate « Courbet » a été « illuminée », à trois reprises, par le radar de conduite de tir d’un navire turc. Ce qui, pour Paris, est un acte « extrêmement agressif », si n’est ouvertement hostile.

L’affaire a été évoquée par la ministre française des Armées, Florence Parly, lors d’une réunion par vidéoconférence avec ses homologues de l’Otan, la semaine passée. Dans un premier temps, le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, a semblé minimiser cet incident entre des navires de deux pays censés être alliés. Finalement, il a annoncé l’ouverture d’une enquête.

Quoi qu’il en soit, cette affaire vient troubler davantage les relations déjà difficiles entre la France et la Turquie, la première ayant déjà reproché à le seconde son intervention dans le nord-est de la Syrie contre les milices kurdes syriennes, qui combattent l’État islamique [EI ou Daesh], ainsi que ses forages et ses intimidations dans la zone économique exclusive de la République de Chypre, où des réserves importantes de gaz naturel sont susceptibles d’être exploitées.

Et c’est l’une des raisons de l’implication en Libye de la Turquie, cette dernière ayant signé, avec le gouvernement d’union nationale [GNA] installé à Tripoli, un protocole d’accord sur ses frontières maritimes, lui permettant d’étendre de 40% la surface de son plateau continental, et donc d’appuyer ses revendications territoriales en Méditerranée. Mais ce n’est pas la seule, la proximité idéologique avec la plupart des milices qui soutiennent le GNA en étant une autre.

Reste que, via l’envoi de mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens qu’elle soutient et les livraisons d’armes, Ankara a donc apporté un appui militaire déterminant au GNA, alors aux prises avec l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Haftar, qui, soutenu par les Émirats arabes unis, l’Égypte ou encore la Russie, dit agir au nom du gouvernement de Tobrouk, issu du Parlement élu en juin 2014.

Désormais, les forces loyales au GNA ont l’initiative. Et elles avancent vers Syrte, verrou stratégique sur la voie des installations pétrolières de l’est libyen. Une telle perspective est inacceptable pour l’Égypte, qui a menacé d’intervenir militairement en Libye. Le 22 juin, Luigi Di Maio, le minsitre italien des Affaires étrangères, et Heiko Maas, son homologue allemand, ont estimé qu’il est urgent d’obtenir un cessez-le-feu entre les belligérants et appelé à l’application « stricte » de l’embargo sur les armes.

« Si nous arrêtons l’arrivée d’armes ou si nous les réduisons fortement, nous serons en mesure de réduire l’agressivité des parties libyennes dans ce conflit », a fait valoir M. Di Maio. À Rome, où l’on soutient le GNA, il n’est pas question de froisser l’Égypte, à un moment où d’importants contrats d’armement sont en discussion…

En outre, le général Stephen Townsend, commandant américain pour l’Afrique [US AFRICOM] et Richard Norland, l’ambassadeur des États-Unis en Libye, ont dit la même chose après avoir rencontré Fayez el-Sarraj, le chef du GNA, le 22 juin. Ainsi, le diplomate a appelé les soutiens des deux rivaux à cesser « d’alimenter le conflit, à respecter l’embargo sur les armes de l’ONU et à respecter les engagements pris lors du sommet de Berlin », en janvier dernier.

Mais le président Macron est allé encore plus loin en s’en prenant vertement [et notamment] à l’intervention turque aux côtés des forces du GNA. « Tant que nous continuerons, membres de l’Otan, Européens, parties prenantes de ce sujet, à être faibles dans nos propos ou à manquer de clarté, nous laisserons le jeu des puissances non coopératives se faire », a-t-il dit.

« Nous ne tolérerons pas […] le rôle que mène la Turquie en Libye. Je ne veux pas, dans les six mois, un ou deux ans, avoir à constater que la Libye est dans la situation de la Syrie d’aujourd’hui », a ensuite lancé le président français.

« Pensez-vous que nous pouvons longtemps laisser la Turquie importer des combattants du théâtre syrien en Libye, compte-tenu de tout ce que l’on sait? Et se taire ou considérer que ne serait pas diplomatiquement correct de ne pas dire et combattre? », a ensuite demandé M. Macron, dont les propos ont été recueillis par Christian Chesnot [France Inter]. « Je suis d’une sévérité extrême avec […] le comportement de la Turquie, qui est inacceptable », a-t-il ensuite conclu.

Photo : livraison de blindés au GNA par la Turquie DR

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