L’Égypte prévient : toute avancée des forces de Tripoli vers Syrte entraînera une intervention militaire directe

Avec le souci de préserver sa frontière occidentale de toute menace jihadiste, l’Égypte a, dans un premier temps, soutenu le gouvernement de Tobrouk, issu des élections législatives de juin 2014, et donc l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, cette dernière ayant alors lancé l’opération « Dignité » contre les groupes terroristes présents dans l’est de la Libye.

La menace jihadiste réduite, l’ANL a ensuite lancé une offensive en direction de Tripoli, siège du gouvernement d’union nationale [GNA], installé sous l’égide des Nations unies, reconnu – à ce titre et officiellement – par la communauté internationale et soutenu par une myriade de milices armées, parmi lesquelles, selon Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, « des responsables de hold-up, des spécialistes de la prédation et des jihadistes » ainsi que des « des groupes mafieux de passeurs, qui torturent et mettent en esclavage des migrants. »

Seulement, la proximité du GNA avec les Frères musulmans a motivé l’Égypte [mais aussi les Émirats arabes unis et d’autres pays arabes] à soutenir l’offensive du maréchal Haftar… et la Turquie à s’impliquer militairement en Libye, avec le Qatar, pour contrer cette dernière.

Par ailleurs, outre son soutien aux Frères musulmans, la Turquie a d’autres raisons de s’inviter en Libye. En novembre 2019, Ankara a signé avec Tripoli un protocole d’accord sur les frontières maritimes, lui permettant ainsi d’étendre son plateau continental [donc sa zone économique exclusive – ZEE] et d’assoir ses prétentions sur les gisements de gaz naturel en Méditerranée, en particulier ceux situés dans les eaux de la République de Chypre. Évidemment, l’Égypte est concernée au premier chef par de telles revendications.

En décembre 2019, alors que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, évoquait une action militaire visant à soutenir le GNA, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, déclara que le « conflit libyen constituait une menace pour la sécurité nationale de l’Égypte », par ailleurs en froid avec la Turquie. Et de sous-entendre que Le Caire pourrait intervenir militaire en cas d’une implication turque chez son voisin.

Depuis, la Turquie a livré des équipements militaires aux milices pro-GNA, envoyé des conseillers militaires ainsi que des mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens qu’elle soutient, et déployé des frégates au large de Tripoli. Et cela a fini par se traduire par une série de revers infligés aux troupes du maréchal Haftar, malgré l’appui fourni par ses « parrains », dont la Russie, via la société militaire privée [SMP] Wagner.

En mai, l’ANL a donc été contrainte de se replier face à l’avancée des combattants pro-GNA. Et ces derniers menacent désormais de reprendre le contrôle de la ville de Syrte, qu’ils avaient perdu en janvier. Au Caire, le 6 juin, le président al-Sissi a alors proposé un cessez-le-feu et une période de transition politique afin de mettre un terme au conflit. Désormais en position de force, le GNA n’a pas donné suite.

Cela étant, et dans le même temps, les forces égyptiennes ont fait des préparatifs pour intervenir à leur tour en Libye, comme l’ont suggéré les images diffusées via les réseaux sociaux et montrant des convois de char Abrams en route vers la frontière.

Et le 20 juin, le président égyptien a précisé ses intentions. Ainsi, toute avancée des forces pro-GNA en direction de Syrte, qui est un verrou stratégique vers l’Est libyen, ainsi que vers al-Joufra, qui abrite une base aérienne, constituera une « ligne rouge » pour Le Caire. Et si elle est franchie, alors la « sécurité de l’Égypte nécessitera une intervention directe » des forces égyptiennes.

« Toute intervention directe de l’Egypte est devenue légitime au niveau international, que ce soit au regard de la charte de l’ONU sur la légitime défense ou qu’elle se base sur la seule autorité légitime élue par le peuple libyen : le Parlement libyen [installé à Tobrouk] », a fait valoir M. al-Sissi. « Si le peuple libyen nous demande d’intervenir, c’est un signal envoyé au monde que l’Egypte et la Libye partagent […] des intérêts communs, la sécurité et la stabilité », a-t-il ajouté.

Et Le Caire peut compter sur le soutien d’autres pays arabes. Ainsi, les Émirats arabes unis ont réagi aux propos de M. al-Sissi en affirmant se tenir « au côté de l’Égypte pour toutes les mesures qu’elle prend pour assurer la sécurité et la stabilité » face au conflit en Libye. » L’Arabie Saoudite a dit la même chose, au mot près, en affichant son « soutien à l’Egypte quant à son droit à défendre ses frontières et son peuple contre l’extrémisme, les milices terroristes et leurs soutiens dans la région. »

Évidemment, la déclaration du président égyptien a été fraîchement accueillie à Tripoli. Membre du Conseil présidentiel du GNA, Mohamad Amari Zayed l’a qualifiée d' »ingérence dans les affaires [nternes] et de menace grave pour la sécurité nationale de la Libye ainsi que pour la paix internationale ». Et d’insister : « Il ne peut y avoir de lignes rouges à l’intérieur de nos frontières et sur nos terres. Aucune partie étrangère n’aura d’autorité sur son peuple. »

Pour la Turquie, ce que peut dire l’Égypte ne change rien. « Un cessez-le-feu doit être viable […] ce qui veut dire que les forces de Haftar doivent se retirer de Syrte et d’al-Joufra », a déclaré Ibrahim Kalin, le porte-parole du président Erdogan, à l’AFP.

Photo : Chars égyptiens en route vers la frontière libyenne, le 7 juin 2020 (via Twitter)

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