Libye : Où sont les navires de l’opération navale européenne Irini?

Dirigée depuis Rome par l’amiral italien Fabio Agostini, secondé par l’amiral français Jean-Michel Martinet, l’opération navale européenne EUNAVFOR MED Irini a été lancée le 31 mars dernier avec deux objectifs principaux : faire respecter l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies à la Libye et assurer la surveillance et la collecte d’informations sur les exportations illicites de pétrole libyen.

Il aura fallu attendre un mois – soit le temps nécessaire pour la génération de forces – pour voir cette opération entrer dans le vif du sujet, avec l’engagement de la frégate française « Jean Bart » et de trois avions de surveillance maritime fournis par le Luxembourg [SW3 Merlin III], la Pologne [An-28TD Bryza] et l’Allemagne [PC-3 Orion]. En outre, le Centre satellitaire européen [SatCen] a également été mobilisé.

Pour rappel, la Libye est le théâtre d’une rivalité opposant le gouvernement d’union nationale [GNA] qui, installé à Tripoli sous l’égide des Nations unies, bénéficie du soutien militaire de la Turquie [qui lorgne par ailleurs sur les ressources gazières en Méditerranée] et le gouvernement de Tobrouk, dont relève l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, notamment soutenue par les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Russie. Ce conflit donne lieu à des violations régulières de l’embargo sur les armes. D’où la raison d’être de l’opération Irini.

Seulement, cette dernière est mal vue par les belligérants et leurs parrains, chaque camp remettant en cause sa neutralité. Proche du du GNA de la Turquie, Malte, membre de l’UE, a ainsi mis les pieds dans le plat en décidant de s’en retirer et a même menacer de mettre son veto aux futures dépenses d’EUNAVFOR Irini.

Quant à la Russie, qui, même si elle s’en défend, soutient l’ANL via les sociétés militaires privées [SMP] Wagner et Russkie System Bezopasnosti [RSB], elle a régulièrement critiqué le principe même de l’opération européenne. Au point qu’elle pourrait être en mesure de la bloquer.

En effet, EUNAVFOR MED Irini s’inscrit dans la résolution 2292 des Nations unies [placée sous chapitre VII, qui autorise le recours à la force si nécessaire], votée en 2016. Or, elle doit être renouvelée d’ici le 10 juin prochain, ce qui n’est pas gagné, la Russie pouvant exercer son droit de veto, comme l’y autorise son statut de membre permanent du Conseil de sécurité.

D’où les efforts diplomatiques de l’Union européenne, qui s’est employée à donner à la Russie des gages sur son opération navale, lors d’une vidéoconférence du Conseil de sécurité réclamée par Moscou.

Selon un diplomate cité par l’AFP, l’UE a réaffirmé « l’engagement des États européens pour le respect des embargos » [armes et exportation illicite de pétrole] via cette opération qui se déroule « dans le cadre strict des résolutions du Conseil de sécurité. » Côté russe, on a exigé une « approche impartiale » d’Irini face aux rivaux libyens, avec une couverture de « toutes les côtes libyennes ».

La semaine passée, la Russie a été formellement accusée d’avoir violé l’embargo en livrant à l’ANL, via la Syrie, 14 avions de combat, dont des MiG-29 « Fulcrum » et des Su-24 « Fencer ». Pour autant, l’une des raisons ayant motivé sa demande d’éclaircissement aux Européens aurait été l’interception, par la frégate Jean Bart, du Jal Laxmi, un pétrolier battant pavillon du Gabon et affrété par une compagnie des Émirats arabes unis pour récupérer une cargaison de pétrole libyen estimée à « plusieurs millions de dollars », et sans l’accord des autorités compétentes, à savoir la Libyan National Oil Corporation, établie à Tripoli.

Si cette action de la frégate Jean Bart n’a pas fait l’objet de commentaire de la part du ministère des Armées, elle a toutefois été implicitement confirmée par le Quai d’Orsay et les Nations unies, ces dernières, par la voix de leur porte-parole adjoint, Farhan Haq, ayant « salué les actions de la France et tous les efforts pour faire appliquer l’embargo onusien sur le pétrole en application des résolutions 2146 et 2362. »

Le 31 mai, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell, s’est félicité de l’apport de l’opération navale européenne. « EUNAVFOR MED a déjà montré sa valeur ajoutée en partageant des informations précieuses avec le groupe d’experts des Nations unies et en ayant effet effet dissuasif, y compris sur la contrebande de pétrole », a-t-il affirmé.

L’effet dissuasif sur les violations de l’embargo reste cependant à montrer… étant donné que la Turquie privilégie désormais le transport aérien pour acheminer mercenaires et armes à Tripoli. Et les MiG-29 et autres Su-24 ne sont pas arrivés en Libye par la mer…

Quoi qu’il en soit, les moyens navals de l’opération Irini sont actuellement inexistants. La frégate Jean Bart est en effet revenue à Toulon, sans avoir été relevée par un autre navire de la Marine nationale. Le 28 mai, dans le cadre de la force maritime européenne EUROMARFOR, la frégate légère furtive [FLF] Courbet a rejoint le bâtiment italien Carabiniere pour prendre paet à l’opération Sea Guardian, menée par l’Otan en Méditerranée centrale.

« Pendant plusieurs semaines, la FLF Courbet patrouillera en soutien direct à l’opération Sea Guardian en vue d’assurer une veille sur toute activité pouvant représenter une menace ou un soutien au terrorisme international, tout en contribuant à la sécurité maritime », a expliqué la Marine nationale.

Il avait été annoncé que la Grèce et l’Italie allaient mettre chacune une frégate à la disposition d’EUNAVFOR IRINI. Or, ces deux navires promis se font toujours attendre.

Le site du ministère italien de la Défense n’évoque pas cette nouvelle opération européenne… tandis que celui de la Marina Militare est muet sur les moyens que Rome entend engager. Et, selon Naval News, la frégate grecque HS Hydra aurait brièvement participé à Irini… avant de revenir en Crète en raison d’un problème technique, le 26 mai. Elle devrait être remplacée par la frégate HS Spetsaï, qui, a priori, se fait toujours attendre.

Selon les informations qu’elle publie via son site et ses pages sur les réseaux sociaux, l’opération Irini est actuellement sans navire.

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