Dans un face-à-face tendu, les forces chinoises et indiennes renforcent leurs positions dans l’Himalaya

Politique du fait accompli en mer de Chine méridionale, vues sur l’archipel japonais Senkaku, menaces visant Taïwan avec de possibles exercices impliquant ses deux porte-avions prévus en août dans les environs des îles Pratas, reprise en main de Hong Kong malgré la promesse de ne pas toucher au système politique et judiciaire pendant 50 ans de ce territoire que le Royaume-Uni lui a rétrocédé en 1997… Pékin fait feu de tout bois alors que la crise provoquée par l’épidémie de Covid-19 n’est pas encore terminée.

À cette liste, il faut aussi ajouter les tensions avec New Delhi, qui vont crescendo depuis quelques semaines, sur fond de disputes territoriales le long de la frontière séparant l’Inde et la Chine, appelée « Ligne de contrôle effectif » [LAC, ou encore « Ligne Mac Mahon].

Outre les différents territoriaux, qui donnèrent lieu à un bref conflit pour le contrôle des territoires himalayens, en 1962, New Delhi s’inquiète du projet chinois de détourner les eaux du fleuve « Yarlung Zangbo » qui, prenant sa source au Tibet, traverse la partie orientale de l’Inde, sous le nom de « Brahmapoutre ».

À Pékin, on prend ombrage de la construction, par l’Inde, de la route « Darbuk-Shyok-DBO », qui relie Leh, la capitale du Ladakh, Daulat Beg Oldi [DBO], près de la frontière chinoise. Devant être pratiquable en permanence, cet axe doit notamment faciliter la circulation des troupes indiennes le long de la Ligne de contrôle actuelle.

Deux secteurs sont particulièrement concernés par ces disputes territoriales. Revendiqué par le Chine et le Bouthan, le plateau du Doklam en fait partie. Ce territoire est stratégique pour l’Inde car situé à quelques encablures du corridor de Siliguri [surnommé le « cou de poulet »], lequel relie les plaines du nord et les États indiens du nord-Est. En 2017, la construction, par la Chine, d’une route dans cette zone, non loin de l’État indien du Sikkim, avait donné lieu à des tensions, récemment ravivées par une nouvelle « bagarre » à coups de bâton entre soldats chinois et indiens, le 10 mai dernier.

L’autre secteur concerné est le celui du Ladakh, dans le nord de l’Inde, qui fait face à la préfecture de Ngari, située dans la région autonome chinoise du Xizang [Tibet]. Or, selon des sources sécuritaires indiennes, le 5 mai, environ 250 soldats chinois auraient fait une incursion dans cette région, précisement dans la région du lac Pangong Tso, ce qui aurait entraîné une bagarre avec leurs homologues indiens, réglée, là encore, à coups de bâton.

Or, la Chine revendique une partie du Ladakh. Et elle avait protesté quand, en 2019, New Delhi avait décidé d’en faire un « territoire de l’Union », c’est à dire relevant directement de l’autorité du gouvernement central indien.

Cité par RFI, Harsh Pant, directeur de recherche à l’Observer research foundation de New Delhi, voit dans ses incidents un avertissement « politique » de la part de Pékin.

« L’Inde a changé sa politique envers la Chine depuis la crise du coronavirus. Elle a ainsi soutenu la demande d’enquête sur les origines du virus et deux députés indiens ont assisté à la prestation de serment du président taïwanais, ce qui est inédit. La perception est que la Chine refuse d’apprécier les sensibilités de l’Inde par rapport au Pakistan, alors pourquoi l’Inde ferait de même avec Taïwan? Taïwan pourrait donc devenir un nouvel instrument de la politique étrangère indienne », a en effet expliqué M. Pant.

Cependant, c’est surtout la construction de la route « Darbuk-Shyok-DBO » qui est pointée du doigt par Pékin, qui l’estime « illégale ».

« L’Inde a construit illégalement des installations de défense de l’autre côté de la frontière […] dans la région de la vallée de Galwan, ne laissant aux troupes de défense des frontières chinoises aucune autre option que de prendre les mesures nécessaires pour y répondre », a fait valoir Long Xingchun, un chercheur de l’Université des études internationales de Pékin, cité par le quotidien Global Times, qui défend la ligne du Parti communiste chinois.

Aussi, la Chine ne cesse de renforcer ses positions militaires près de la Ligne de contrôle actuelle depuis plusieurs semaines déjà. L’imagerie satellitaire montre en effet que, depuis deux mois, Pékin a entrepris de développer les infrastructures militaires de l’aéroport de Ngari-Gunsa, situé à un battement d’ailes de la frontière avec l’Inde. Au moins quatre avions de combat J-11 et J-16 [dérivés respectivement des Su-27 et Su-30 russes] y ont été repérés.

De même qu’un camp de l’Armée populaire de libération [APL] a été repéré dans les environs de la vallée de Galwann. Toujours selon l’imagerie satellitaire, la Chine y aurait déployé d’importants moyens d’artillerie ainsi que des chars et de l’infanterie mécanisée.

De son côté, l’Inde en fait autant. « L’armée indienne a envoyé des troupes et des armes supplémentaires dans l’est du Ladakh, dans le cadre de sa stratégie visant à repousser avec fermeté le comportement militaire agressif de la Chine », a ainsi écrit le quotidien Times of India, le 28 mai.

Deux jours plus tôt, le Premier ministre indien, Narendra Modi, avait tenu une réunion avec son conseiller à la sécurité nationale, Ajit Doval, et le chef d’état-major de la défense indienne afin de discuter du « renforcement et de la préparation militaire de l’Inde afin de faire face aux défis de sécurité extérieure. »

Cela étant, Pékin a donné le sentiment de vouloir calmer le jeu. « À l’heure actuelle, la situation le long de la frontière entre la Chine et l’Inde est généralement stable et sous contrôle. […] La Chine est déterminée à sauvegarder la sécurité de sa souveraineté territoriale nationale, ainsi qu’à sauvegarder la paix et la stabilité dans les zones frontalières sino-indiennes », a assuré le ministère chinois des Affaires étrangères.

Alors que le président américain, Donald Trump, a proposé sa « médiation », New Delhi a adopté similaire. « Nous sommes engagés avec la Chine à résoudre cette question de manière pacifique. L’Inde s’est engagée à maintenir la paix et la tranquillité dans les zones frontalières avec la Chine […] En même temps, nous restons fermement résolus à assurer la souveraineté et la sécurité nationale indiennes », a déclaré Anurag Srivastava, le porte-parole de la diplomatie indienne.

Pour rappel, la Chine et l’Inde sont deux puissances dotées de l’arme nucléaire. La doctrine officielle chinoise met l’accent sur le non-usage en premier, même si le pays était attaqué avec des armes conventionnelles. S’agissant de la doctrine indienne, elle fait l’objet d’une réflexion à New Delhi, comme l’a expliqué Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], en 2017.

Cette réflexion « confirme la tentation indienne d’avoir deux modes d’expression de la doctrine – l’un pour le Pakistan et l’autre pour la
Chine – étant entendu que même si le non-emploi en premier restait théoriquement en vigueur pour la dissuasion vis-à-vis de
Pékin, les interrogations d’ordre éthique [‘une démocratie doit-elle attendre d’être détruire pour frapper son adversaire?’] entendues depuis longtemps à Delhi sur le sujet demeureraient », a ainsi rapporté M. Tertrais.

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