Libye : La Russie est-elle en train de « lâcher » le maréchal Haftar?

Même si la Russie dément, un récent rapport de l’équipe d’experts du comité du Conseil des Nations unies est formel : des employés de la société militaire privée [SMP] russe ChVK Wagner sont présent en Libye depuis octobre 2018, aux côtés de l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, qui tente, sans succès, de renverser le gouvernement d’union nationale libyen [GNA] installé à Tripoli. Et d’aller jusqu’à estimer leur nombre à « pas plus de 800 à 1.200 », sans toutefois être en mesure de « vérifier de manière indépendante l’importance de leur déploiement. »

Ces employés du groupe Wagner, proche du Kremlin, « fournissent un soutien technique pour la réparation de véhicules militaires, participent à des combats et à des opérations d’influence » et on aidé l’ANL dans les domaines de « l’artillerie, du contrôle aérien, fourni une expertise dans les contre-mesures électroniques et déployé des tireurs d’élite ». Et les experts de l’ONU d’ajouter : « Leur implication a agi comme un multiplicateur de force » pour les forces du maréchal Haftar.

Mais le groupe Wagner ne serait pas le seul en Libye : selon le rapport, la SMP russe Russkie System Bezopasnosti [RSB] y a aussi envoyé des techniciens, chargés d’assurer la maintennce des aéronefs de l’ANL. Des employés des SMP Moran Security Group et Schit Security Group ont également été signalés à Benghazi, le fief du maréchal Haftar.

En outre, des combattants syriens ont été envoyés par Damas en Libye pour renforcer l’ANL. « Selon des sources sur le terrain, le nombre de combattants syriens étrangers soutenant les opérations du maréchal Haftar est de moins de 2.000 », indique le rapport.

Ces soutiens viennent s’ajouter à ceux que fournissent les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Jordanie aux troupes du maréchal Haftar.

Cela étant, le GNA bénéficie également d’un appui extérieur, en particulier du Qatar et de la Turquie. Depuis le début de cette année, Ankara a envoyé des mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens qui lui sont inféodés et multiplié les livraisons d’armes.

Selon l’ONG Syrians for Truth and Justice [STJ], basée en France, la Turquie aurait recruté entre 2.000 et 4.000 combattants syriens [dont des mineurs], pour ensuite les envoyer à Tripoli.

L’appui militaire de la Turquie, qui se traduit aussi par le déploiement de plusieurs frégates appartenant à la classe Gabya [ex-Oliver Hazard Perry] au large de Tripoli, a permis aux milices du GNA de remporter plusieurs succès importants face à l’ANL, comme le récente prise de la stratégique base d’al-Watiya, située à 140 km à l’ouest de la capital libyenne.

Or, cet enchaînement de revers militaires de l’ANL s’est accentué quand le maréchal Haftar a déclaré avoir « accepté la volonté du peuple et son mandat » pour diriger la Libye, passant outre le gouvernement de Tobroul dont relèvent ses troupes.

Seulement, de tels propos ont été mal accueillis à Moscou. « Nous n’approuvons pas la déclaration du maréchal Haftar selon laquelle il décidera unilatéralement de la façon dont le peuple libyen vivra », a en effet réagi Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, déplorant qu’aucun des rivaux « n’aide à trouver un compromis stable ».

Par ailleurs, le rapport du groupe d’experts de l’ONU a évoqué des le commandement de l’ANL et le groupe Wagner, l’efficacité du second ayant été remise en cause par le premier. En outre, selon l’analyste Pavel Felgenhauer, de la Jamestown Foundation, le maréchal Haftar « aurait retenu » un paiement de 150 millions de dollars à la SMP russe.

Ces tensions expliquent-elles le récent repli des membres de Wagner vers la localité de Bani Walid, à 170 km au sud-est de Tripoli?

En effet, le 25 mai, le GNA a affirmé qu’un « avion-cargo militaire de type Antonov 32 a atterri à Bani Walid » pour évacuer « des mercenaires [du groupe] Wagner vers une destination inconnue ». Et « sept avion militaires » auraient également rejoint « Bani Walid » la veille, « avec des munitions et des équipements militaires, et vont repartir « avec les mercenaires [de] Wagner », a-t-il ajouté.

A priori, les « mercenaires » du groupe Wagner auraint été transférés vers la base al-Jufrah, où quelques avions MiG-29 et Su-24 ont récemment été livrés à l’ANL. Mais cela reste à vérifier.

Ce retrait des membres de Wagner intervient quelques jours après un entretien téléphonique entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan. Les deux hommes ont ainsi souligné, selon l’agence TASS, « la nécessité d’une reprise rapide d’une trêve indéfinie et d’un dialogue inter-libyen sur la base des décisions de la Conférence internationale de Berlin du 19 janvier, approuvées par la résolution 2510 du Conseil de sécurité de l’ONU. »

Pour autant, il est peu probable de voir la Russie se désengager de la Libye, qui reste le pilier de sa stratégie d’influence dans la région. Aussi, Moscou pourrait se tourner vers d’autres personnalités de l’Est libyen, comme Aguila Salah Issa, le président du Parlement de Tobrouk, favorable à une discussion avec les autorités de Tripoli, ou bien encore le général Abderrazak al-Nadori lequel a déjà représenté l’ANL dans les négociations internationales, avant d’être mis sur la touche par le maréchal Haftar.

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