L’achat de F/A-18 ouvre le débat sur la participation allemande à la dissuasion nucléaire de l’Otan

Durant ses mandats successifs accomplis entre 1999 et 2005, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder s’était gardé de remettre en cause la participation de son pays à la dissuasion nucléaire « élargie » de l’Otan, alors même que son gouvernement comptait des ministres écologistes, comme Joshka Fischer, alors chef de la diplomatie allemande.

En réalité, depuis que la base allemande de Büchel [Rhénanie-Palatinat] abrite des bombes nucléaires B-61 mises à la disposition de l’Otan par les États-Unis selon un principe de double-clé, les deux principaux partis allemands, à savoir la CDU/CSU [chrétiens-démocrates] et le SPD [sociaux-démocrates], n’ont jamais vraiment remis en cause la participation de l’Allemagne aux plans de l’Otan en matière de dissuasion. Même après la disparition de l’Union soviétique.

Ce qui n’est désormais plus le cas, le remplacement – envisagé – d’une partie des chasseurs-bombardiers Panavia Tornado de la Luftwaffe [force aérienne allemande] à bout de souffle par des F/A-18 Super Hornet auprès des États-Unis ayant ouvert le débat.

Pour rappel, en avril, le ministère allemand de la Défense a annoncé son intention de se procurer des 93 Eurofighter EF-2000 supplémentaires ainsi que 30 F/A-18 Super Hornet, destinés à emporter la bombe B-61, et 15 EA-18 Growler, ces appareils étant appelés à reprendre les missions de guerre électronique actuellement assurées par des Tornado ECR.

Le choix des F/A-18 Super Hornet s’explique justement par la nécessité pour la Luftwaffe de disposer d’un avion capable de mettre en oeuvre la B-61 dans des délais compatibles avec le retrait des Panavia Tornado. D’où le débat qui s’est ouvert en Allemagne ces derniers jours.

Ainsi, dans un entretien donné au Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, le président fédéral du SPD, Norbert Walter-Borjans, a dit prendre « clairement position » contre la présence sur le sol allemand d’armes nucléaires…. et leur utilisation. Aussi, il s’est prononcé contre l’achat « d’avions de combat destinés à être utilisés comme bombardiers nuclaires. »

Même son de cloche du côté Rolf Mützenich, le chef de file [par intérim] des sociaux-démocrates au Bundestag [chambre basse du Parlement]. L’administrationTrump a indiqué que les « armes nucléaires ne sont plus seulement un moyen de dissuasion mais des armes qui peuvent être utilisées pour faire la guerre », a-t-il dit, dans les colonnes de l’édition dominicale du Tagesspiegel. « Le risque d’escalade est devenu ingérable », a-t-il insisté.

Les propos de M. Mützenich ont probablement été inspirés par les commentaires faits l’an passé, quand une ébauche du document intitulé JP-3-72 Nuclear Operations, fut publiée fortuitement par le Pentagone. « Son contenu […] a suscité un certain émoi dans les médias spécialisés, certains n’hésitant pas à parler du ‘retour du Dr. Folamour’, de certaines conceptions de l’arme nucléaire comme arme ‘d’emploi' », a écrit Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique. Cependant, a-t-il ajouté, ce « document n’annonce en fait nullement un tournant dans la doctrine nucléaire américaine, mais quelques formulations inhabituelles et/ou maladroites pouvaient le laisser penser. » [.pdf]

Quoi qu’il en soit, pour Rolf Mützenich, les « armes nucléaires sur le sol allemand ne renforcent pas notre sécurité, bien au contraire » et il est par conséquent « temps que l’Allemagne exclue à l’avenir leur stationnement ».

Pour les observateurs de la vie politique allemande, cette remise en cause « radicale » de la doctrine de défense et de sécurité a une motivation électoraliste, le SPD affichant une ligne pacifiste et anti-nucléaire afin de séduire les sympathisants les plus à gauche. Actuellement, les sociaux-démocrates ne recueilleraient que 16% des suffrages en cas d’élection, contre 38% pour les chrétiens-démocrates.

Justement, ces derniers n’ont pas manqué de tirer à boulets rouges sur les deux responsables sociaux-démocrates.

« Le SPD évolue en plein Nirvana en matière de politique de sécurité » et il oublie que « les armes nucléaires américaines servent en premier lieu à notre protection », a réagi le député Patrick Sensburg, par ailleurs officier de réserve. Si les sociaux-démocrates persistent dans cette voie, a-t-il prévenu, alors « nos partenaires internationaux vont douter de la capacité de l’Allemagne à remplir son rôle à l’avenir dans l’architecture de sécurité transatlantique. »

Cependant, au sein du SPD, tout le monde ne partage pas forcément cette ligne « pacifiste ». Tel est le cas de Fritz Felgentreu et de Karl-Heinz Brunner, deux parlementaires spécialistes des affaires de défense. « Si l’Allemagne se retire de la dissuasion alors nous perdrons alors notre influence sur la stratégie nucléaire de l’Otan », a fait valoir le premier auprès du Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung. Quant au second, il s’est dit sur la même longueur d’onde.

Cela étant, M. Felgrentreu n’est pas pour autant un fervent partisan d’un achat d’avions F/A-18. « Il sera très coûteux de mettre en service un système complètement nouveau comme le F-18. J’aimerais voir les chiffres avant qu’une décision soit prise », a-t-il dit, en avril, au journal Handelsblatt.

Mais le projet d’acquérir l’avion de combat produit par Boeing ne fait pas non plus l’unanimité parmi les députés allemands favorables au maintien de la participation de leur pays à la dissuasion « élargie » de l’Otan.

Pour certains, à l’image, d’ailleurs, de Fritz Felgentreu, il serait plus judicieux d’acquérir une quinzaine de F-35A, le chasseur-bombardier de 5e génération qui, développé par Lockheed-Martin, avait encore récemment les faveurs de l’état-major de la Luftwaffe. L’idée serait d’exploiter cette flotte en coopération avec les Pays-Bas, lesquels participent aussi à la dissuasion nucléaire de l’Otan.

Selon d’autres, étant donné que le F/A-18 Super Hornet et le F-35A ne sont pas encore certifiés pour mener des missions nucléaires, il serait préférable d’acheter des F-15E, qui ont déjà la capacité d’emporter la B-61. Mais la candidature de cet avion avait été écartée l’an passé par le ministère allemand de la Défense.

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