Eurofighter : Airbus gagne une manche judiciaire en Autriche

Depuis 2003, la commande de 18 avions de combat Eurofighter Typhoon [Tranche 1], négociée avec Airbus [EADS à l’époque] pour deux milliards d’euros, empoisonne la vie politique autrichienne en raison de soupçons récurrents de corruption.

En effet, l’état-major de l’Österreichische Luftstreitkräfte [force aérienne autrichienne] n’avait pas été insensible à l’offre faite par le suédois Saab, lequel avait proposé 24 JAS-39 Gripen pour 2,15 milliards d’euros. D’où les interrogation au sujet de ce choix en faveur de l’Eurofighter et ces soupçons de malversations, exprimés à l’époque par le Parti de la liberté [FPÖ, extrême-droite] et la gauche autrichienne.

Sous la pression, le gouvernement autrichien fut contraint de réduire la commande à 15 exemplaires, afin de réduire la note de 300 millions d’euros. Pour autant, l’affaire ne faisait que commencer, connaissant des rebondissements au gré des alternances politiques.

Chef de la force aérienne autrichienne, le général Erich Wolf fut démis de ses fonctions, étant donné qu’il fut avancé que son épouse avait reçu 90.000 euros d’un lobbyiste proche d’Airbus. Cependant, la plainte qui fut déposée contre lui par le ministère de la Défense fut classée sans suite en 2011 par le parquet de Vienne.

Le feuilleton connut un nouveau rebondissement avec les révélations d’un homme d’affaires italien, lequel évoqua un système de rétrocommissions mis en place dans le cadre du contrat des futurs avions de combat autrichiens, avec des sociétés écran. Et un responsable politique fut inquiété, Karl-Heinz Grasser, ministres des Finances entre 2000 et 2007, étant accusé d’avoir usé de son influence pour pousser la candidature de l’Eurofighter…

Dans le même temps, la justice allemande s’intéressa de près à Airbus dans le cadre d’une enquête ouverte pour « corruption lors d’une vente d’avions à l’Autriche ». En janvier 2017, l’industriel accepta finalement une procédure dite de « rectification fiscale » concernant cette affaire. Pour autant, il n’était pas question pour Vienne d’en rester là.

En effet, le mois suivant, le ministère autrichien de la Défense fit part de son intention de réclamer un dédommagement d’au moins 183,4 millions d’euros à Airbus, s’estimant avoir été « délibérément trompé tant sur le vrai prix que sur les vraies capacités » des Typhoon. Et d’insister : « Sans cette tromperie, la République d’Autriche n’aurait pas commandé ces avions. »

Trois ans plus tard, et alors qu’Airbus venait de s’engager à verser 3,6 milliards d’euros à la France, au Royaume-Uni et aux États-Unis pour mettre un terme aux enquêtes judiciaires le visant, le ministère autrichien de la Défense s’est senti oublié… Et il est donc revenu à la charge, d’autant plus que, selon la justice américaine, l’industriel aurait reconnu avoir versé ou provisionné 55 millions d’euros destinés à des intermédiaires pour s’assurer que le contrat des avions de combats autrichiens ne lui échapperait pas.

« Nous demandons réparation […]. Des versements sont intervenus dans plusieurs pays et ce que nous demandons avec insistance, ce sont des réparations pour la République autrichienne », a en effet déclaré Klaudia Tanner, la ministre autrichienne de la Défense, le 12 février dernier. Et d’expliquer que plusieurs « options » étaient envisagées, allant du procès au procédures civiles.

Cette déclaration visait surtout à mettre la pression sur la justice autrichienne, chargée de tirer au clair cette affaire. Finalement, cette dernière a classé sans suite la plainte du gouvernement.

« La cour criminelle de Vienne n’a pas trouvé de fondement à poursuites dans les accusations émises en février 2017 par le ministère autrichien de la Défense », a expliqué une porte-parole de la cour, à l’AFP. « Rien ne prouve qu’une fraude ait été commise lors des négociations de règlement de 2007 avec Airbus et Eurofighter », a en effet estimé le juge.

Cependant, selon les médias autrichiens, Hans Peter Doskozil, le ministre de la Défense en exercice au moment du dépôt de la plainte, a affirmé qu’il n’avait pas fait confiance au ministère de la Justice pour instruire ce dossier. Aussi avait-il déposé une autre plainte auprès des autorités américaines…

Quoi qu’il en soit, cette décision provoque quelques remous politiques. Le porte-parole pour les affaires de défense du SPÖ [parti social-démocrate, opposition], Robert Laimer, a estimé que ces derniers développements sont « complétement incompréhensibles ». Et d’ajouter : « La fin de cette procédure me rend abasourdi. Il y a maintenant un besoin urgent de justification publique de cette décision. La ministre de la Justice, Alma Zadic [Verts] doit expliquer publiquement et de manière transparente aux Autrichiens pourquoi la procédure a été abandonnée ».

Cela étant, le chef des services juridiques de la République d’Autriche entend faire appel… Et le parquet national anticorruption poursuit ses envestigations sur une soixantaine de personnes impliquées dans ce marché. Par ailleurs, une décision sur le retrait ou non des 15 Eurofighter doit être prochainement annoncée.

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