En 2019, les dépenses militaires mondiales ont atteint leur plus haut niveau depuis la fin de la Guerre froide

Comparer les budgets militaires de plusieurs pays n’est pas forcément pertinent, dans la mesure où il faudrait aussi prendre en considération les données sociales et économiques pour chacun d’entre eux, comme l’indice du coût de la vie ou le coût du travail.

Ainsi, par exemple, et selon les chiffres de l’OCDE, l’indice des niveaux de prix s’établit à 60 pour la Chine et à 91 pour les pays de l’Union européenne [et à 115 pour les États-Unis].

Une autre difficulté supplémentaire est que, au-delà de l’opacité chez certains pays, il faut s’entendre sur le périmètre de ces dépenses militaires… Or, ce dernier varie selon les gouvernements, les organisations [comme l’Otan] et les centres de réflexion, ce qui donne à des classements différents.

L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm [SIPRI] mesure l’évolution des dépenses militaires mondiales depuis 1989 selon la même méthodologie. Ainsi, dans ses calculs, il inclut toutes les dépenses publiques consenties pour les forces armées et les activités militaires, y compris les salaires, les avantages sociaux, les frais de fonctionnement, les acquisitions de matériels ainsi que les investissements en recherche et développement.

Dans une étude qu’il publie chaque année [.pdf], le SIPRI a donc constaté que les dépenses militaires mondiales avaient progressé de 3,6% en 2019, pour s’établir à 1.782 milliards d’euros [1.917 milliards de dollars]. Elles ont représenté 2,2% du PIB mondial, ce qui équivaut à environ 249 dollars par personne. Il s’agit de la hausse la plus importante depuis la crise économique et financière de 2008.

« Les dépenses militaires mondiales étaient de 7,2 % plus élevées en 2019 qu’en 2010, ce qui reflète une tendance à l’accélération des dépenses militaires ces dernières années », explique ainsi le Dr Nan Tian, chercheur au SIPRI. Et elles ont même atteint leur plus haut niveau depuis la fin de la Guerre froide, trente ans plus tôt.

Ayant atteint 732 milliards de dollars en 2019, le budget du Pentagone, en hausse de 5,3%, aura représenté 38% des dépenses militaires mondiales. Cette tendance, explique Pieter D. Wezeman, checheur principal au SIPRI, est « largement basée sur la perception d’un retour à la rivalité entre les grandes puissances. » Pour rappel, la stratégie de défense des États-Unis, publiée en janvier 2018, insiste sur la priorité à donner aux défis posés par la Russie et la Chine.

L’an passé, Pékin avait annoncé une hausse de 7,5% de ses dépenses militaires, ce qui marquait un fléchissement par rapport aux années précédentes. Officiellement, le budget de l’Armée populaire de libération [APL] devait donc s’élever à 156 milliards d’euros [ou 177,6 milliards de dollars]. Officieusement, il en va autrement car les autorités chinoises maintiennent le flou sur les ressources qu’elles allouent à leurs forces armées. Et, cette année, elles n’ont fait aucune communication à ce sujet.

Aussi, et dans la lignée d’autres centre de recherche, le SIPRI évalue les dépenses militaires chinoises à 261 milliards de dollars en 2019, [soit +5,1% par rapport à 2018]. Ce qui en fait le second budget mondial. Cet effort conduit l’Inde a en faire autant… L’an passé, les forces indiennes ont vu leur budget augmenter de 6,8%, pour s’établir à 71,1 milliards de dollars. Pour rappel, New Delhi a élaboré une stratégie dite de « double front », visant à contrer le Pakistan et son alliée, la Chine.

Le SIPRI note que c’est la première fois que deux pays asiatiques figurent dans le « top 3 » des pays les plus dépensiers dans le domaine militaire. Le Japon [47,6 milliards de dollars / -0.1%] et la Corée du Sud [43,9 milliards / +7,5%] font partie du « top 10 ». Plus généralement, les dépenses militaires dans la région Indo-Pacifique ont augmenté chaque année depuis au moins 1989.

En Europe, la Russie fait la course en tête. En 2019, Moscou a augmenté ses dépenses militaires de 4,5% pour les porter à 65,1 milliards de dollars [soit 3,9% de son PIB]. Cet effort lui a permis de ravir la place de la France au sein du « top 5 » du classement établi par le SIPRI… Cela s’explique par son engagement en Syrie, la poursuite de la modernisation de ses forces armées et ses investissements dans la région Arctique.

Les dépenses militaires française, selon le périmètre retenu par le SIPRI, ont augmenté de 1,6% en 2019, pour s’élever à 50,1 milliards de dollars. Ce qui fait qu’elles sont supérieures à celles du Royaume-Uni [48,7 milliards de dollars]. Pourtant, ce n’est pas ce que dit le rapport annuel de l’Otan… ce dernier assurant que le budget britannique étant supérieur.

« Selon les estimations du SIPRI, les dépenses militaires du Royaume-Uni en 2019 sont inférieures de 11,2 milliards de dollars au chiffre […] communiqué à l’Otan. Les chiffre du SIPRI sont basés sur des données publiques sur les dépenses du MOD [ministry of Defence, ndlr] », explique l’institut suédois.

Reste que, au sein de l’Otan, l’Allemagne a augmenté ses dépenses militaires de 10%, ces dernières s’étant élevées, en 2019, à 49,3 milliards de dollars [soit à 1,3% du PIB]. « L’augmentation des dépenses militaires allemandes s’explique en partie par la perception d’une menace croissante de la Russie, partagée par de nombreux États membres de l’Otan », explique Diego Lopes da Silva, chercheur au SIPRI.

Les dépenses militaires allemandes auront été supérieures de 15% par rapport au niveau qui était le leur en 2010, année où elles avaient atteint… 1,3% du PIB. Et elles ont atteint le même montant qu’en 1993, où elles représentaient 1,7% du PIB.

Au sein de l’Otan, certains pays ont augmenté significativement leurs budgets militaires. Tel est ainsi le cas de la Bulgarie [+127%, en raison de l’achat de F-16] et celui de la Roumanie [+17%]. « Le total des dépenses militaires des 29 États membres de l’Otan s’est élevé à 1.035 milliards de dollars en 2019 », note le SIPRI. Évidemment, les États-Unis en apportent 70%.

Au Moyen-Orient, l’estimation des dépenses militaires est compliquée par le manque de transparence de certains pays. Cependant, le SIPRI estime qu’elles se sont élevées à 147 milliards de dollars en 2019, en repli de 7,5% par rapport à l’année précédente. Cette baisse est due à l’Arabie Saoudite… S’il fait toujours partie du « Top 5 » des pays les plus dépensiers [avec 61,9 milliards de dollars], le royaume a réduit son effort de defense d’environ 16%.

À noter que l’Iran en aurait fait autant. L’institut suédois avance que Téhéran a réduit ses dépenses militaires de 15%, ces dernières s’élevant à 12,6 milliards de dollars.

Enfin, en Afrique, les dépenses militaires sont reparties à la hausse [+1,5%] pour la première fois en cinq ans… avec de fortes variations d’un pays à l’autre.

« Les conflits armés sont l’une des principales raisons de la nature volatile des dépenses militaires en Afrique subsaharienne », explique le SIPRI. Ainsi, si le Burkina Faso [+22%] et le Mali [+3,6%] ont augmenté leurs budgets militaires, en raison de la menace jihadiste, d’autres les ont diminués, à l’image du Tchad [-5,1%], pays pourtant très impliqué dans la lutte contre les groupes terroristes, du Niger [-20%] et du Nigeria [-8,2%].

Cela étant, la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 pourrait inverser la tendance observée par le SIPRI durant ces dernières années. Le niveau des dépenses militaires constaté en 2019 « représente sans doute un pic », estime Dr Nan Tian.

« Il est très probable que cela aura un effet réel sur les dépenses militaires », a-t-il insisté auprès de l’AFP. « Mais l’histoire montre qu’une baisse des dépenses militaires dans un contexte de crise ne dure jamais longtemps. « Nous pourrions assister à une baisse des dépenses pendant un à trois ans, puis à une nouvelle hausse dans les années à venir », a-t-il ajouté. Et pour cause : le monde d’après la pandémie risque d’être comme celui d’avant… mais en pire.

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