La Loi de programmation militaire devra « être pleinement appliquée », prévient le sénateur Christian Cambon
On l’a sans doute oublié mais la Revue stratégique publiée en 2017 avait souligné le risque d’une crise sanitaire majeure comme celle que l’on connaît actuellement.
« L’accroissement de la mobilité de la population favorise l’extension des aires de diffusion de certaines maladies, ainsi que la propagation rapide et à grande échelle de virus à l’origine d’épidémies diverses [syndrome respiratoire aigu sévère – SRAS] », y était-il affirmé. En outre, le document insistait aussi sur le risque réel « d’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou échappant à un laboratoire de confinement ».
Et d’ajouter : « De même, l’interconnexion des filières alimentaires génère des risques sur la santé humaine et offre un terrain propice à d’éventuelles actions ‘agro-terroristes’. Plus grave encore, la diffusion des biotechnologies pourrait permettre à des groupes terroristes de conduire des attaques biologiques sophistiquées. »
Or, entre 2008 et 2017, et malgré cette menace, le Service de Santé des Armées [SSA] a vu son format se réduire au gré des restrictions budgétaires, la priorité étant allée à la préservation des capacités opérartionnelles, même à un niveau échantillonnaire. Au cours de la Loi de programmation militaire [LPM] 2014-19, et dans le cadre du plan SSA 2020, il a ainsi perdu 8% de ses effectifs alors que son activité n’a cessé de s’accentuer.
En 2019, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire [HCECM] s’en était inquiété dans son rapport annuel. Au vu de son sous-effectif et du contexte opérationnel, le SSA ne serait « pas en mesure de faire face, avec ses seuls moyens, à un évènement s’accompagnant de pertes massives et d’un grand nombre de blessés. »
Et, pourtant, face à l’épidémie de Covid-19, le SSA répond présent, avec les moyens qui lui restent, dans le cadre de l’opération Résilience, lancée le 25 mars dernier. Ainsi, les 8 hôpitaux d’instruction des armées [HIA] ont accueilli plus de 6.000 personnes en consultation et comptent 121 patients soignés en réanimation, auxquels il faut ajouter les 40 autres pris en charge par l’hôpital de campagne déployé à Mulhouse.
« Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un véritable hôpital, et non pas de tentes dans lesquelles on aligne des lits comme on le fait au large de New York. C’est un hôpital qui soigne dans des conditions absolument identiques à celles d’un hôpital classique », a expliqué Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, après l’audition de Florence Parly, la ministre des Armées, le 10 avril.
En outre, le personnel du SSA est aussi sollicité pour les transferts de patients vers des hôpitaux n’ayant pas leurs capacités d’accueils saturées. Ces missions assurées par les aéronefs des armées de Terre et de l’Air, ainsi que par les navires de la Marine nationale [en particulier par le PHA Tonnerre], ont permis le transport de 139 malades et de 130 soignants. Et cela, alors que les autres opérations continuent, avec plus de 30.000 militaires engagés.
Seulement, la crise économique qui est venue s’ajouter à l’épidémie risque de compliquer sérieusement la donne budgétaire… Et, par conséquent, de remettre en cause l’effort consenti pour restaurer les capacités des forces françaises… alors que la Loi de programmation militaire 2019-25 prévoit de porter le budget de la mission Défense à 39,3 milliards d’euros en 2021. Dans l’immédiat, il faudra s’assurer que les 37,6 milliards promis au titre de l’année 2020 soient au rendez-vous, ce qui n’est pas gagné.
L’article 7 de la LPM précise qu’une actualisation devra avoir lieu d’ici la fin 2021. « Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l’évolution des effectifs jusqu’en 2025 », indique-t-il.
Or, une note d’Orion, l’Observatoire de la défense de la Fondation Jean Jaurès, espère que les armées échapperont aux coupes budgétaires. « Un exécutif victime de services publics affaiblis tente de cacher ses limites grâce aux forces armées. Or, ces dernières sont elles-mêmes depuis longtemps engagées en métropole comme en opérations extérieures [OPEX]. Fort heureusement, ‘toutes les conséquences’ seront tirées de la crise. Peut-on alors espérer que les armées ne seront pas demain victimes d’ajustements budgétaires? », plaide-t-elle [en citant le président Macron]
Les sénateurs sont sur la même ligne. « On peut imaginer qu’en sortant d’une telle crise, l’opinion publique exigera plus d’efforts en termes d’hôpitaux, d’usines, que d’efforts en matière d’armement. Or il faut comprendre que les crises géo-stratégiques, comme celle au Levant qui a conduit aux attentats, doivent être anticipées, comme les crises sanitaires, afin de ne pas être débordés », a fait valoir Christian Cambon, qui s’est dit « inquiet pour l’avenir ».
Qui plus est, a-t-il continué, les « armées font un effort extraordinaire. Mais il faut avoir le courage de le dire : elles ne pourront donner que ce qu’elles ont ! Attention à l’usure, dans cette ‘course de fond’: cet engagement a un coût, en particulier sur le plan humain. » Aussi, pour M. Cambon, « la loi de programmation militaire devra être pleinement appliquée pour permettre, demain, la régénération du potentiel ».