Covid-19 : La révocation du « pacha » de l’USS Theodore Roosevelt devient une affaire politique

Relevé de son commandement, le « pacha » du porte-avions américain USS Theodore Roosevelt, actuellement amarré à Guam après la détection d’un nombre galopant de cas de Covid-19 à bord, le capitaine de vaisseau Brett Crozier était visiblement très apprécié par les marins ayant servi sous ses ordres.

Au moment de quitter le navire, l’officier a en effet été acclamé et applaudi par l’équipage, qui a scandé « Cap-tain Crozier! Cap-tain Cro-zier! ». Puis il a salué les marins du porte-avions avant de prendre place à bord d’une voiture qui l’attendait au bout de la passerelle. Pour autant, cette affaire ne fait probablement que commencer.

Pour rappel, le 2 avril, le secrétaire [intérimaire] de l’US Navy, Thomas Modly, a sanctionné le capitaine de vaisseau Crozier en décidant de le relever de son commandement, estimant qu’il avait manqué de jugement et de discernement alors que l’épidémie de Covid-19 prenait de l’ampleur à bord de l’USS Theodore Roosevelt.

Dans un message ayant « fuité » dans la presse, l’officier avait demandé l’autorisation de débarquer l’équipage du porte-avions à Guam, estimant qu’il lui étant impossible d’appliquer les recommandations faites pour endiguer la propagation du virus responsable du Covid-19. « Retirer la majorité de l’équipage d’un porte-avions nucléaire américain en cours de déploiement et les isoler pendant deux semaines peut paraître une mesure extraordinaire. Mais c’est un risque nécessaire », avait-il dit. Et d’insister : « Nous ne sommes pas en guerre. Les marins n’ont pas à mourir. Si nous n’agissons pas maintenant, alors nous ne parviendrons pas à prendre correctement soin de notre atout le plus fiable – nos marins. »

La sanction dont le capitaine de vaisseau Crozier a fait l’objet ne portait pas sur la teneur de son message mais sur la façon dont il a été communiqué. En clair, il lui a été reproché de ne pas avoir utilisé les canaux hiérarchiques traditionnels en l’envoyant à trente destinataires, ce qui n’a pu qu’augmenter le risque de fuite vers la presse.

L’écho de ce message « a alarmé inutilement les familles de nos marins » et « semé le doute sur les capacités et la sécurité opérationnelles du navire, ce qui aurait pu encourager nos adversaires à en profiter », a justifié M. Modly, dont la décision a été prise en accord avec l’amiral Michael Gilday, le chef d’état-major de l’US Navy. « Nous demandons à nos commandants de faire preuve de jugement, de maturité, de leadership et de calme sous la pression », a-t-il souligné. Or, a-t-il continué, le capitaine de vaisseau Crozier a « fait preuve d’un très mauvais jugement en période de crise ».

Au Pentagone, un autre motif a été avancé : il est en effet reproché à l’ex-pacha de l’USS Theodore Roosevelt d’avoir donné quartier libre à une partie de l’équipage lors d’une escale à Da Nang [Vietnam]. Ce qui aurait, a priori, été l’élément déclencheur de l’épidémie de Covid-19 à bord.

Cela étant, le capitaine de vaisseau Crozier a fini par être entendu puisque les trois quarts des marins du porte-avions seront débarqués à Guam. Ce qui permettra de placer en quarantaine ceux qui auront été testés positifs. Quoi qu’il en soit, la sanction qui lui a été infligée ne passe pas auprès d’une partie de l’opinion publique américaine. Des pétitions pour exiger son retour à bord de l’USS Theodore Roosevelt ont fleuri sur Internet et l’une d’entre-elles a déjà recueilli près de 180.000 signatures.

Et des responsables politiques, appartenant surtout au Parti démocrate, se sont emparés de l’affaire. Après que des membres du comité des Forces armées de la Chambre des représentants ont condamné la décision de M. Modly dans une déclaration commune, en l’estimant « excessive » et « dissuasive » pour les « commandants de navires tentés de signaler des problèmes », 17 sénateurs [tous démocrates] ont demandé qu’une enquête soit menée par l’inspection générale du Pentagone sur l’épidémie de Covid-19 à bord de l’USS Theodore Roosevelt, tout en se disant « alarmés » par la sanction « brutale » infligée à son commandant.

Probable concurrent de M. Trump lors de la prochaine élection présidentielle américaine, Joe Biden ne s’est pas privé de critiquer l’administration en place et la décision de l’US Navy.

« Le commandant Crozier a été fidèle à son devoir, à ses marins et à son pays. La direction de la Navy a envoyé un message glaçant sur la façon de dire la vérité à ceux qui ont le pouvoir », a déclaré M. Biden, via Twitter. « C’est l’administration Trump qui a manqué de jugement, pas un officier courageux qui a cherché à protéger ses marins », a-t-il conclu.

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