Les forces américaines ont fourni un « soutien limité » aux talibans face à l’État islamique
Le 10 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, à l’unanimité, la résolution 2315, laquelle entérine l’accord conclu à Doha par les États-Unis et le mouvement taleb afghan, le 29 février dernier.
Dans les grandes lignes, ce dernier prévoit un retrait militaire américain d’Afghanistan en échange de la promesse des talibans de rompre avec les formations terroristes liées à al-Qaïda. À ce sujet, il compte deux clauses secrètes liées à la lutte anti-terroriste auxquelles les membres du Conseil de sécurité n’ont pas eu accès. Reste maintenant à voir si cet accord sera respecté, ce qui, dans le cas contraire, mettrait une fois de plus en jeu la crédibilité de l’ONU…
Quoi qu’il en soit, la résolution 2315 demande surtout aux autorités afghanes de faire des efforts en vue d’arriver à un accord de paix avec le mouvement taleb. Ainsi, le Conseil « prie instamment » le gouvernement afghan de « faire avancer le processus de paix y compris en participant à des négociations entre Afghans par le truchement d’une équipe de négociation diverse et inclusive composée de personnalités, y compris féminines, de la vie politique et de la société civile afghane ».
En outre, il demande également au gouvernement afghan ainsi qu’au mouvement taleb de « s’atteler de bonne foi à des mesures de confiance supplémentaires destinées à créer des conditions propices à la prompte ouverture et au succès des négociations entre Afghans et à une paix durable, y compris à de nouvelles réductions de la violence propres à faire sensiblement baisser le nombre de victimes civile. »
Or, sur ce point, c’est plutôt mal parti. En effet, voulant obtenir la libération de 5.000 des leurs retenus prisonniers, les talibans ont relancé leurs opérations contre les forces de sécurité afghanes alors que l’encre de l’accord de Doha n’était pas encore sèche. Entre les 3 et 10 mars, ils ont ainsi mené 147 attaques dans 27 des 34 provinces que compte l’Afghanistan.
Cependant, et même si les forces américaines ont dû effectuer une frappe aérienne « défensive » pour appuyer une unité afghane sous le feu des insurgés dans la province du Helmand, le Pentagone a relativisé l’importance de ces attaques, le mot d’ordre étant, apparemment, de ne rien dire qui puisse compromettre l’accord de Doha, pourtant perçu par certains mouvements jihadistes comme une… victoire des talibans.
Reste que ces derniers sont en passe d’obtenir ce qu’ils voulaient. Ainsi, le président afghan, Ashraf Ghani, a indiqué que la libération des talibans actuellement en captivité pourrait commencer « à condition que la violence diminue de manière importante. » Et, dans le même temps, les forces américaines ont entamé leur retrait du pays, en quittant deux bases qu’elles occupaient près de Lashkar Gah, la capitale du Helmand [sud], et dans la province d’Herat [ouest].
Cela étant, l’Aghanistan est aussi aux prises avec la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique [EI-K], organisation rivale d’al-Qaïda. Depuis l’accord de Doha, ce groupe a revendiqué plusieurs attentats meutriers commis à Kaboul, dont un a visé la cérémonie d’investiture Ashraf Ghani, réélu président en septembre dernier. À noter que la légitimité de ce dernier est contestée par son rival, Abdullah Abdullah, lequel s’est auto-proclamé…
Selon le dernier rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions de l’ONU contre les organisations jihadistes, l’EI-K a subi de lourdes pertes face aux forces afghanes et… aux talibans. Au point qu’il a été chassé de la province de Nangarhar, où il s’était solidement implanté. Toutefois, le groupe « compterait aujourd’hui quelque 2.500 combattants en Afghanistan, dont 2.100 environ dans la province du Kounar » et il « continue de recruter en ligne et mène également des activités de propagande dans les madrassas », souligne le document.
Lors d’une audition parlementaire, le 10 mars, le général Kenneth McKenzie, le chef de l’US Centcom, le commandement militaire américain pour l’Asie centrale et le Moyen-Orient, est revenu sur les opérations conduites contre l’EI-K dans la province de Nangarhar. Et, à cette occasion, il a donné une information assez surprenante.
« Ces derniers mois, dans l’est de l’Afghanistan, nous avons observé les talibans contenir et écraser une présence de l’EI sur le terrain dans la province de Nangarhar et ils l’ont fait avec beaucoup d’efficacité », a commencé par dire le général McKenzie. Et d’ajouter : « Il y avait un soutien très limité de notre part ».
L’officier n’a pas précisé la nature exacte de ce « soutien limité ». Mais c’est la première fois qu’un reponsable militaire américain évoque une telle coopération avec le mouvement taleb afghan. « Ils [les talibans] ont donc démontré leur capacité à le faire. C’était sanglant mais ils l’ont fait, l’EI ne contrôle plus de terrain dans la province de Nangarhar », a-t-il conclu.
Interrogé, plus tard, sur la nature de ce « soutien limité » à l’occasion d’un point presse, le vice-amiral William Byrne, haut responsable de l’état-major américain, n’a pas souhaité en dire plus. « Je n’ai aucun détail à vous fournir », a-t-il dit aux journalistes. « Mais c’est ce qu’on espère : l’espoir est que toutes les forces là-bas combattent l’EI, que toutes les forces là-bas combattent al-Qaïda, parce que l’espoir, c’est que l’Afghanistan ne redevienne jamais un refuge pour des opérations terroristes », a-t-il affirmé.
En revanche, le général McKenzie est plus circonspect quant à la volonté du mouvement taleb afghan de rompre avec al-Qaïda. Selon le rapport de l’ONU, les relations de l’organisation fondée par Oussama Ben Laden avec les talibans « continuent d’être étroites et mutuellement bénéfiques », cette dernière leur « fournissant des ressources et des formations en échange de leur protection », comme l’a montré « l’opération menée en septembre [2019] dans le district de Musa Qala, au cours de laquelle certains de ses membres ont été tués ». Toujours d’après la même source, le nombre de combattants d’al-Qaïda en Afghanistan serait de 400 à 600.
« C’est moins une question de capacité qu’une question de volonté, et c’est moins une question de volonté contre l’EI que ça ne l’est contre Al-Qaïda », a commenté le général McKenzie au sujet des liens entre les talibans et la formation jihadiste. « C’est quelque chose qu’il va falloir qu’ils démontrent, ça n’a pas encore été démontré », a-t-il continué. « Nous n’avons pas à leur faire confiance, nous n’avons pas à les aimer, nous n’avons pas à croire ce qu’ils disent. Ce que nous devons faire, c’est observer ce qu’ils font », a-t-il enfin estimé.