Héritage de l’après-Guerre Froide, le traité « Ciel ouvert » a du plomb dans l’aile

À force, il ne restera plus rien de l’architecture de sécurité héritée de la Guerre Froide [ou juste après]. Ainsi, après le traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe [FCE], abandonné par la Russie en 2015 et celui sur les Forces nucléaires intermédiaires [FNI], que les États-Unis ont dénoncé après avoir accusé Moscou de l’avoir violé, le traité de désarmement New START va arriver à expiration en 2021. Et, pour le moment, Washington et Moscou ne se pressent pas pour en négocier la prolongation.

Un autre traité mal en point est celui appelé « Open Sky » [ou Ciel ouvert]. Lors du sommet de Genève, en 1955, le président américain, qui était alors le général Dwight Eiseinhower, avait émis l’idée d’un mécanisme permettant aux États-Unis et l’Union sovétique de survoler le territoire de l’autre pays afin d’instaurer de la confiance. Le but était alors de s’assurer qu’aucun mauvais coup n’était en préparation en surveillant les mouvements militaires des uns et des autres. Seulement, Moscou refusa.

Il aura donc fallu attendre 1992 – et la fin de la Guerre Froide qu’il l’avait inspiré – pour voir un tel dispositif prendre forme, avec la signature, par les membres de l’Otan et ceux du Pacte de Varsovie, d’un traité autorisant de tels survols au-dessus du territoire des pays signataires. Cependant, ce texte tarda à être mis en application, la Russie ne l’ayant ratifié qu’en 2001.

Mis en oeuvre sous l’égide de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe], via la « Commission consultative pour le régime « Ciel ouvert » [CCCO], ce texte stipule que chaque pays l’ayant ratifié doit accepter un certain nombre de vols d’observation au-dessus de son territoire [quota passif] et peut réaliser autant de vols qu’il en a reçus [quota actif]. Un préavis de 72 heures doit être communiqué aux autorités du pays devant faire l’objet d’un tel survol.

La résolution des images obtenues lors de tels vols surveillance ne doit pas excéder 30 centimètres pour les capteurs photographiques et vidéo, de 50 centimètres pour les capteurs infrarouge et de 3 mètres pour les capteurs à imagerie radar.

Ce traité « Ciel ouvert » est considéré comme étant à la fois un outil politique, militaire et diplomatique, dans la mesure où il permet, comme le souhaitait le président Eiseinhower, d’instaurer un climat de confiance entre les pays qui l’ont ratifié. Pourtant, depuis plusieurs mois, l’administration Trump l’a dans le collimateur, Washington accusant Moscou de ne pas jouer le jeu, notamment pour ce qui concerne les survols de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud [des provinces séparatistes géorgiennes] ainsi que de l’enclave russe de Kaliningrad.

Théoriquement, la Géorgie ayant ratifié le traité « Ciel ouvert », rien ne s’oppose à des vols de surveillance au-dessus de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Mais, dans la pratique, comme ces territoires ont fait sécession en 2008 et proclamé leur indépendance [seulement reconnue par Moscou et une poignée de pays], la Russie estime qu’ils ne font pas partie du traité. Quant à Kaliningrad, enclave fortement militarisée, les autorités russes y imposent des restrictions de vol qui compliquent toute observation.

D’où la nouvelle charge de Mark Esper, le chef du Pentagone, contre le traité « Ciel ouvert », lors d’une audition parlementaire, le 4 mars. « Cela fait des années qu’ils trichent et j’ai soulevé la question le mois dernier, lors d’une réunion de l’Otan, a-t-il lancé, à propos des Russes. « Nous devons être plus explicites sur les violations de la Russie » et « ce traité, tel qu’il est, m’inquiète beaucoup », a-t-il ajouté, en réponse à une question portant sur des suvols que Moscou a récemment refusés, notamment au-dessus de Kaliningrad et près de la Géorgie.

« Ce sont deux bons exemples. On nous a aussi interdit des survols d’exercices militaires », a confié M. Esper. Aussi, la modernisation du Boeing OC-135 B Open Skies, utilisé par les États-Unis pour les vols de surveillance dans le cadre du traité, attendra. « Tant que nous n’aurons pas pris de décision sur la voie à suivre, je ne suis pas prêt à moderniser l’appareil », a-t-il en effet affirmé, suggérant ainsi un possible retrait de Washington de ce texte.

« Je noterais que beaucoup de nos alliés appartiennent au traité Ciel ouvert et je leur ai beaucoup parlé. C’est important pour beaucoup de nos alliés de l’Otan », a toutefois admis M. Esper. D’ailleurs, affirme Moscou, certains pays de l’Alliance « transmettent de fait leurs quotas aux Américains en le présentant comme des survols ‘conjoints' »…

Cependant, un retrait de Washington du traité Ciel ouvert ne fait pas l’unanimité parmi les parlementaires américains. Tel est le cas du président du Comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants, le démocrate Eliot Engel. Selon lui, une telle décision « ne profiterait qu’à la Russie et nuirait aux intérêts de sécurité de nos alliés et partenaires. » Même chose pour le républicain Don Bacon, un ex-général de l’US Air Force.

« Le traité Ciel ouvert favorise la compréhension, la confiance et la stabilité parmi les 34 pays membres. En tant que signataire du traité, nous obtenons un accès précieux à l’espace aérien et aux aérodromes militaires russes dans un court délai. Je pense que les États-Unis étaient fondés à mettre fin à leur participation au traité FNI mais je n’ai pas encore vu de raison impérieuse de se retirer du traité Ciel ouvert », a déclaré ce parlementaire, cité par Defense One.

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