Pour la diplomatie française, l’Otan doit avoir une « grande explication franche » avec la Turquie

Alors qu’il venait de lancer l’opération « Bouclier de printemps » en riposte à des frappes attribuées à la Syrie contre ses troupes envoyées dans la province syrienne d’Ildeb, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a décidé de rompre un accord conclu avec l’Union européenne [UE] en 2015 en ouvrant ses frontières avec l’Europe [et en particulier avec la Grèce] aux migrants et autres réfugiés [*] présents dans son pays, dont le nombre est évalué à 3,6 millions.

Le président turc a justifié sa décision en faisant valoir que la Turquie ne serait pas en mesure de faire face à une nouvelle vague migratoire venue de la province d’Idleb, où près d’un millions de civils sont massés près de la frontière turque. Le 2 mars, lors d’un entretien téléphonique avec la chancelière allemande, Angela Merkel, il aurait réclamé un  » « juste partage du fardeau ».

Mais M. Erdogan a un autre objectif : faire chanter l’UE pour que celle-ci lui apporte son soutien dans la crise syrienne. « Depuis que nous avons ouvert nos frontières, le nombre de ceux qui se sont dirigés vers l’Europe a atteint les centaines de milliers. Bientôt, ce nombre s’exprimera en millions », a-t-il d’abord affirmé, lundi. Puis, ce 4 mars, lors d’un discours prononcé à Ankara, il a déclaré que « si les pays européens veulent régler le problème, alors ils doivent apporter leur soutien aux solutions politiques et humanitaires turques en Syrie. »

Qui plus est, le président turc a accusé s’en est vivement pris à la Grèce, sur le ton de la menace. « Les Grecs, qui ont recours à tous les moyens pour empêcher les migrants d’entrer sur leur territoire, allant jusqu’à les noyer ou les tuer à balles réelles, ne doivent pas oublier qu’ils pourraient eux-mêmes avoir besoin de compassion un jour », a-t-il lancé. Or, Athènes a démenti avoir tué des migrants ayant tenté d’entrer sur son territoire.

Quoi qu’il en soit, plusieurs dirigeants européens ont dénoncé le chantage exercé par M. Erdogan. « Personne ne peut faire chanter l’UE », a assuré Margaritis Schinas, le commissaire européen aux Migrations.

« Je voudrais relever que la pression migratoire qui est aujourd’hui aux portes de l’Europe – de la Grèce, un peu de la Bulgarie, un peu de Chypre – est organisée par le régime du président Erdogan pour constituer un élément de chantage à l’égard de l’Union européenne », a, à son tour,  accusé Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, lors des questions au gouvernement, au Sénat, ce 4 mars. « L’Union européenne ne cèdera pas à ce chantage […] Les frontières de la Grèce et de l’espace Schengen sont fermées et nous ferons en sorte qu’elles restent fermées, que les choses soient claires! », a-t-il ajouté.

Cela étant, pour M. Le Drian, avec « la crise que connaît actuellement le Nord de la Syrie », on va vers « un véritable cataclysme. » Et de rendre le régime syrien responsable de cette situation.

« Dans cette zone sur les trois millions d’habitants, vous avez 1,5 million de réfugiés qui ne passeront pas en Turquie puisque la frontière là est vraiment fermée et qui sont dans un état de dénuement, de détresse considérable », a expliqué le ministre. « Ils remontent vers la frontière turque. Beaucoup d’habitants sont pour la deuxième fois réfugiés et déplacés avec le froid, la faim, les épidémies, la recrudescence des violences contre les femmes et les filles », a-t-il ajouté.

Sur ce point, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, a annoncé une aide d’urgence de 170 millions d’euros « pour les plus vulnérables en Syrie », lors d’un déplacement à… Ankara.

Quoi qu’il en soit, M. Le Drian a aussi pointé les ambiguïtés de la Turquie à l’égard de l’Otan…

« L’Otan doit avoir une explication franche avec la Turquie pour savoir de quel côté penche cet allié, qui s’est beaucoup rapproché de Moscou dans le cadre du conflit syrien », a-t-il dit.

En effet, même si ces deux pays n’ont pas les mêmes objectifs et intérêts en Syrie comme, du reste, en Libye, il n’en reste pas moins qu’ils ont opére un spectaculaire rapprochement depuis 2016. Au point qu’Ankara a fait fi des remarques de l’Otan en se procurant des systèmes russes de défense aérienne S-400, ce qui lui a coûté sa place dans le programme d’avion de combat F-35.

« Nous sommes dans la même alliance […] Je pense qu’il nous faudra avoir rapidement avec la Turquie une grande explication, lourde, franche, publique pour savoir de quel côté est l’un, de quel côté est l’autre et là où sont nos intérêts communs et dire tout cela, fortement sinon on ne s’en sortira pas », a ensuite estimé M. Le Drian. « La grande explication s’impose. Elle s’impose dans nos relations à nous avec la Turquie mais elle s’impose aussi au sein de l’Alliance […] L’actualité nous l’impose », a-t-il insisté.

Parmi les ambiguïtés de la Turquie, le ministre français a cité ses relations avec la Russie, son intervention contre les Kurdes syriens, ses prétentions territoriales en Méditerranée orientale et son chantage migratoire.

« La Turquie vient de demander un soutien militaire et des mesures de réassurance dans le domaine de la défense aérienne et antimissile à l’Otan et dans le même temps elle achète des matériels S-400 à la Russie dont l’interopérabilité au sein de l’Otan n’est pas avérée, au contraire », a fait remarquer M. Le Drian.

« Quand elle se trouve attaquée à Idleb, alors la Turquie se retourne vers l’Otan en disant ‘Je veux l’application de l’article 4’qui demande la solidarité des alliés […] mais dans le même temps elle instrumentalise avec cynisme les migrants », a continué le patron du Quai d’Orsay.

Puis ce dernier n’a pas manqué de citer l’intervention turque « contre nos alliés kurdes dans le cadre de la coalition contre Daesh, dont est membre l’Otan dont elle-même fait partie! ». Enfin, il également dénoncé la décision d’Ankara de « délimiter des zones maritimes de juridiction propre en contradiction avec le droit de la mer » tout en menant des « manœuvres militaires contre un autre pays membre de la même alliance qu’elle, la Grèce, en attendant d’autres acteurs. »

[*] Selon la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, un réfugié est une personne qui, craignant les persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, a dû quitter son pays.

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