Face à la Turquie, le gouvernement de Tobrouk et Damas scellent leur rapprochement

Émissaire spécial de l’ONU en Libye depuis 2017, Ghassan Salamé a fini par rendre son tablier, le 2 mars. « Durant presque trois ans, j’ai tenté de rassembler les Libyens, de restreindre les interventions étrangères et de sauvegarder l’unité du pays », a-t-il écrit, via Twitter, après avoir annoncé sa démission.

Effectivement, le diplomate libanais n’a pas ménagé sa peine pour tenter de mettre un terme aux affrontements qui opposent les milices favorables au gouvernement d’union nationale [GNA], installé à Tripoli sous l’égide des Nations unies [et conformément à aux accord de Skhirat de décembre 2015] à l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, lequel soutient les autorités de Tobrouk, lesquelles tirent leur légitimité du Parlement élu en juin 2014.

Ainsi, ces dernières semaines, les efforts de M. Salamé ont contribué à la tenue du sommet de Berlin, lequel a réuni les parties impliquées dans le conflit libyen, à l’adoption de la résolution 2510 par le Conseil de sécurité des Nations unies, et à l’organisation de pourparlers de paix à Genève.

Seulement, les engagements pris par les uns et les autres n’ont jamais été véritablement tenus. D’où les propos de M. Salamé, le 28 février, sur les « cyniques » qui sapent les pourparlers entre les belligérants. Les trêves ne sont en effet pas respectées et les ingérences étrangères dans le conflit continuent, de même que les livraisons d’équipements militaires aux deux camps rivaux.

Et d’autres enjeux dépassent le cadre strictement libyen, ce qui motivent ces ingérences étrangères dans le conflit. Le Qatar et la Turquie, traditionnels soutiens des Frères musulmans [qui inspirent des milices pro-GNA], apportent leur appui au gouvernement de Tripoli.

Et si ce dernier venait à être renversé par le maréchal Haftar, alors le mémorandum qu’il a signé afin de permettre à la Turquie d’étendre son plateau continental, pour appuyer ses revendications territoriales en Méditerranée orientale, deviendrait lettre morte. Ce qui ruinerait les ambitions d’Ankara en matière d’exploitation de gaz naturel, aux dépens de la Grèce et, surtout de la République de Chypre. D’où son soutien militaire au GNA, via l’envoi d’équipements, de conseillers et de mercenaires recrutés par les groupes rebelles syriens pro-turcs.

Le gouvernement de Tobrouk n’est pas en reste, grâce notamment à l’entregent du maréchal Haftar. Ce dernier est soutenu par les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Arabie Saoudite et la Russie, qui, même si elle s’en défend, a envoyé auprès de l’ANL des mercenaires de la société militaire privée Wagner, proche du Kremlin.

Par certains côtés, la situation en Libye a des points communs avec celles qui prévaut actuellement en Syrie. Ces deux pays sont soumis à des ingérences étrangères, la Russie et la Turquie y soutiennent des camps opposés et la menace jihadiste persiste.

Aussi, un rapprochement entre le gouvernement de Tobrouk avec Damas n’était pas une hypothèse fà exclure, d’autant plus que l’attitude la Ligue arabe à l’égard de la Syrie [qui en été exclue en 2011, ndlr] semble être de plus en plus conciliante [comme l’a montré la poignée de main « chaleureuse » échangée par son secrétaire général, l’Égyptien Ahmed Aboul Greit, avec le Wallid Mouallem, le chef de la diplomatie syrienne, en septembre 2019, lors de l’Assemblée générale de l’ONU].

Et c’est justement ce qu’il vient de se passer. En effet, alors que les forces turques et syriennes s’affrontent ouvertement dans la province d’Idleb,  le président syrien, Bachar el-Assad, a reçu, le 1 mars,  une délégation du gouvernement de Tobrouk, emmenée par Abdul-Rahman al-Ahiresh, vice-premier ministre, et Abdelhady Ibrahim Al-Huwaij, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Cette dernière comprenait également le ministre de la Défense, Younes Farhan, et le chef du renseignement de l’ANL, Mustafa al-Mukaran.

« L’entretien a porté sur les derniers développements en Syrie et en Libye et sur la bataille que les deux pays mènent contre le terrorisme, ainsi que sur l’ingérence étrangère sous toutes ses formes », a rapporté l’agence officielle syrienne SANA, qui a cité le rôle de la Turquie, accusée de recourir au « terrorisme » en fonction de ses « intérêts politiques. »

Toujours selon la même source, les représentants du gouvernement de Tobrouk et les autorités syriennes ont donc signé un protocole d’accord pour la réouverture des missions diplomaties et consulaires dans leurs pays respectifs. Lors d’une conférence de presse, le ministre syrien des Affaires étrangères a indiqué que les « relations diplomatiques reprendront temporairement à Damas et à Benghazi jusqu’à l’ouverture prochaine de l’ambassade de Syrie à Tripoli. »

Mais il n’a pas été seulement question des relations diplomatiques. Selon la presse arabe, les « deux parties se sont également engagées à se coordonner pour faire face à l’ ingérence et à l’agression turques contre les deux pays ». Interrogé par le journal égyptien Al Dustour, le député syrien Zahir Al-Yousifi a expliqué que cet accord doit permettre de repérer « les éléments terroristes syriens que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a envoyés en Libye pour se battre par procuration ».

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