Syrie : L’Otan adresse un « signe de solidarité » à la Turquie, impliquée dans une escalade militaire à Idleb
Pour éviter un nouvel afflux de réfugiés vers son territoire et protéger les groupes rebelles syriens qu’elle soutient, la Turquie avait obtenu de la Russe, via le processus d’Astana et l’accord de Sotchi, de faire de la province syrienne d’Idleb une zone de désescalade. En échange, Ankara avait pris l’engagement de « neutraliser » les terroristes qui s’y trouvaient, dont les jihadistes du Hayat Tahrir Al-Cham. Et les forces turques y installèrent douze poste d’observation.
Seulement, en 2019, les forces gouvernementales syriennes, avec l’appui de l’aviation militaire russe, lança une offensive pour reprendre le contrôle de cette province. Ce qui, à mesure de sa progression, donna lieu à quelques frictions avec les forces turques. Sans toutefois aller au-delà de l’irréparable.
Mais, et alors que les forces syriennes s’apprêtaient à s’emparer de la localité stratégique de Saraqeb et que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, venait d’évoquer une possible opération militaire dans la province d’Idleb, un premier incident sérieux opposa Damas à Ankara. En effet, quatre soldats turcs furent tués par des frappes attribuées aux troupes de Damas. Ce qui motiva une riposte de la part d’Ankara.
Puis, d’autres incidents de ce type se produisirent par la suite. Et M. Erdogan menaça de frapper les forces syriennes « partout et indépendamment des frontières d’Idleb » si jamais d’autres militaires turcs venaient à être tués. Dans le même temps, la Russie accusa la Turquie de n’avoir rien fait contre les « terroristes » afin de justifier son soutien à l’offensive menée par Damas.
Malgré les menaces et les avertissements de M. Erdogan, les troupes turques furent à nouveau prises pour cible… Sans provoquer la réaction promise par Ankara. Jusqu’à ce 27 février.
Ce jour-là, des frappes aériennes attribuées à la force aérienne syrienne ont fait au moins 33 tués dans les rangs des forces turques déployées dans la province d’Idleb. Et cette fois, Ankara ne pouvait que réagir. « Toutes les positions connues du régime [syrien]ont été prises sous le feu de nos unités terrestres et aériennes », a assuré, ce 28 février, Fahrettin Altun, le porte-parole de la présidence turque.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme [OSDH], la riposte turques aurait fait une quinzaine de tués parmi les soldats syriens.
De son côté, et après, la veille, avoir accusé Ankara de soutenir les « rebelles » avec des tirs d’artillerie et des drones, le ministère russe de la Défense a expliqué que « des militaires turcs, se trouvant au sein combattantes de groupes terroristes, ont été pris sous le feu des soldats syriens. »
Et d’assurer que son homologue turc ne l’avait pas averti de la présence de ces troupes dans la zone visée, où ces dernières « n’auraient pas dû s’y trouver. » En vertu des accords de Sotchi et d’Astana, la Turquie était en effet censée communiquer la position de ses forces à l’état-major russe afin d’éviter tout incident.
« Les forces aérospatiales de la Fédération de Russie n’ont pas été utilisées dans cette zone », a encore fait valoir le ministère russe, avant d’assurer avoir pris toutes les mesures pour un cessez-le-feu total de la partie syrienne, assurant l’évacuation des morts et des blessés en toute sécurité vers le territoire de la Turquie » dès qu’il eut pris connaissance de la présence des soldats turcs.
La Turquie a réfuté les accusations russes. « J’aimerais souligner qu’aucun élément armé ne se trouvait au côté de nos unités au moment de cette attaque », a réagi Hulusi Akar, le ministre turc de la Défense. Plus tard, Ankara a porté sa riposte diplomatique sur le terrain humanitaire, en appelant la communauté internationale à instaurer une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus d’Idleb pour « protéger les civils ». Ce qui n’est pas envisageable, la Russie ayant un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU et, surtout, la maîtrise du ciel, notamment avec son système de défense aérienne S-400 que… la Turquie lui a acheté, au grand dam de l’Otan.
En outre, pour forcer la main, en particulier, aux Occidentaux, la Turquie a fait savoir qu’elle n’empêcherait plus les migrants voulant se rendre en Europe de franchir la frontière… La décision aurait été prise par le président Erdogan, lors d’un conseil de sécurité. Suite à cette annonce, la Grèce a renforcé ses patrouilles à sa frontière avec le territoire turc. La Bulgarie a pris une mesure similaire.
Dans le même temps, et alors que ses relations avec plusieurs membres de l’Otan sont tendues, Ankara a invoqué l’article 4 du Traité de l’Atlantique-Nord, lequel stipule que « tout allié peut demander des consultations chaque fois que, de l’avis de l’un d’entre eux, son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité sont menacées. »
Lors d’une réunion tenue en urgence, les Alliés ont ainsi présenté « leurs plus sincères condoléances pour la mort de soldats turcs » et « condamné la poursuite des frappes aériennes aveugles du régime syrien avec le soutien de la Russie dans la province d’Idleb ».
« Cette situation dangereuse doit être désamorcée pour éviter d’aggraver encore la terrible situation humanitaire dans la région et pour permettre un accès humanitaire d’urgence aux personnes prises au piège à Idleb. Nous demandons instamment un retour immédiat au cessez-le-feu de 2018 », indique un communiqué de l’Otan, selon lequel la « réunion d’aujourd’hui est un signe de solidarité avec la Turquie. »
« L’Otan continue de soutenir la Turquie pour sa défense aérienne. Cela lui permet de se protéger contre la menace d’une attaque de missiles tirés depuis la Syrie », a ensuite déclaré Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance atlantique. En outre, des « avions AWACS [alerte avancée] de l’Otan vont patrouiller dans l’espace aérien de la Turquie », a-t-il précisé.
Quant à l’Union européenne, concernée par la décision de M. Erdogan de laisser les migrants se rendre en Europe, contrairement aux engagements pris dans le cadre d’un pacte conclu en 2016, elle a dit s’inquiéter d’un « risque de confrontation militaire internationale majeure » en Syrie. Et, selon son haut-représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borelle, elle « envisagera toutes les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts en matière de sécurité ». Reste à voir comment…
Pendant ce temps, les frégates Amiral Grigorovitch et Amiral Makarov, armées de missiles de croisière Kalibr, ont appareillé de Sébastopol [Crimée] pour « intégrer le groupe permanent de la marine en Méditerranée », selon un porte-parole de la flotte de la mer Noire.