L’Otan et la Russie se félicitent de l’accord que s’apprêtent à signer les États-Unis et les talibans afghans

Dans l’édition internationale du New York Times [datée de ce 21 février] et alors qu’un accord de paix doit être signé la semaine prochaine par les taliban et les États-Unis, on peut lire une tribune pour le moins surprenante de Sirajuddin Haqqani, présenté par le journal comme étant le « chef adjoint » du mouvement taleb, ce qui est quelque peu réducteur…

En effet, pour les autorités américaines, Sirajuddin Haqqani est aussi le chef d’un réseau qui, qualifié de « terroriste » en 2012, a été créé par son père, Jalaluddin, dont le décès a été annoncé en septembre 2018. Accusé d’avoir planifié plusieurs attentats, sa tête est encore mise à prix pour 10 millions de dollars dans le cadre du programme « Reward for Justice ».

Cela étant, rien de cela ne paraît sous la plume de Sirajuddin Haqqani. Selon les discussions entre les émissaires des États-Unis et les représentants du mouvement taleb, il serait question d’un retrait des troupes américaines d’Afghanistan en échange de garanties sécuritaires.

Pour rappel, c’est parce qu’al-Qaïda avait ses aises en Afghanistan que les États-Unis y ont lancé une opération militaire au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

Dans sa tribune publiée par le New York Times, l’émir adjoint du mouvement taleb assure ainsi qu’il n’est pas dans l’intérêt des Afghans d’autoriser des groupes terroristes à s’installer de nouveau dans leur pays…. Après avoir affirmé que « les informations sur les groupes étrangers en Afghanistan sont des exagérations motivées par des considérations politiques de la part d’acteurs bellicistes. »

« Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour faire de l’Afganistan un bastion de stabilité », écrit ensuite Haqqani. En outre, il explique aussi que le soutien de la communauté internationale demeurera « crucial » pour aider à stabiliser et à développer le pays. Et d’estimer que les États-Unis pourront y jouer un rôle constructif à cet égard une fois qu’ils auront retiré leurs troupes.

Enfin, le chef du réseau Haqqani s’est dit « confiant » dans le fait que, une fois « libérés de la domination et des interférences étrangères », les Afghans trouveront le chemin pour « construire un système islamique dans lequel ils auront tous les mêmes droits ». S’agissant des femmes, les droits que leur accorde l’Islam, comme « l’accès à l’éducation et au travail » seront « garantis ». Enfin, il assure que chacun sera traité selon son mérite. On est donc bien de la réthorique habituellement développée par les taliban.

Pour autant, il y a les mots d’un côté et les faits de l’autre. Or, si l’on en croit de récents rapports publié par le comité de l’ONU relatif aux santions visant la mouvance jihadiste, le réseau Haqqani est resté lié à al-Qaïda.

« Al-Qaïda continue de voir dans l’Afghanistan un refuge pour ses dirigeants, du fait de ses liens solides et de longue date avec le commandement taleb. Avec l’aide des taliban, al-Qaïda souhaite renforcer sa présence dans la province de Badakhchan, en particulier dans la zone de Chighnan, qui borde le Tadjikistan, ainsi qu’à Barmal, dans la province de Paktika. Al-Qaïda continue de coopérer étroitement avec Lashkar-e-Taïba et le réseau Haqqani. Et les membres d’al-Qaïda continuent de servir régulièrement d’instructeurs militaires et religieux pour les taliban », a ainsi rapporté un rapport publié en juillet 2019.

Celui diffusé en janvier dernier évoque à nouveau cette proximité avec le réseau terroriste fondé par Oussama ben Laden. « Al-Qaïda s’inquiète du fait que les dirigeants des taliban se concentrent actuellement sur les pourparlers de paix. Les représentants d’al-Qaïda ont entrepris une navette diplomatique destinée à persuader diverses factions des Taliban et des commandants d’opérations de ne pas appuyer les négociations avec le Gouvernement afghan tout en leur promettant un plus grand soutien financier », y lit-on.

« Les groupes d’Asie centrale, qui connaissent des difficultés financières, ont tendance à appuyer al-Qaïda » et « si un accord de paix est conclu, al-Qaïda entend tenir un autre discours pour justifier la poursuite du conflit armé en Afghanistan » d’autant plus que ses « relations avec les taliban continuent d’être étroites et mutuellement bénéfiques, al-Qaida leur fournissant des ressources et des formations en échange de leur protection », analyse encore l’équipe de suivi du comité des sanctions.

Enfin, quand Sirajuddin Haqqani évoque les « interférences étrangères » dans sa tribune, il semble oublier que son réseau a bénéficié des largesses de l’Inter-Services Intelligence [ISI], c’est à dire des puissants services de renseignement pakistanais. D’ailleurs, Islamabad a reconnu avoir offer le gîte et le couvert au mouvement taleb afghan quand celui-ci fut chassé de Kaboul. Pour le Pakistan, avoir des « amis » au pouvoir à Kaboul est essentiel dans sa rivalité avec l’Inde, l’Afghanistan pouvant lui donner de la profondeur stratégique.

Quoi qu’il en soit, la perspective d’un accord de paix avec le mouvement taleb afghan a été saluée par l’Otan, qui avait déployé la Force internationale d’assistance à la sécurité [ISAF] en Afghanistan, laquelle a été remplacée en 2014 par la mission « Resolute Support ».

« Je me félicite de l’annonce faite aujourd’hui qu’un accord a été conclu sur une réduction significative de la violence en Afghanistan », a en effet déclaré Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan. « Il s’agit d’un test critique de la volonté et de la capacité des talibans à réduire la violence et à contribuer à la paix de bonne foi. Cela pourrait ouvrir la voie à des négociations entre les Afghans, à une paix durable et à la garantie que le pays ne sera plus jamais un refuge pour les terroristes », a-t-il ajouté.

Même la Russie, accusée par des responsables militaires américains d’avoir soutenu les taliban, se félicite de cet accord. « Ce sera un évènement important pour le processus de paix en Afghanistan », a ainsi affirmé Zamir Kaboulov, le représentant spécial du président russe pour l’Afghanistan, lequel avait déclaré, en décembre 2015, que les « intérêts de la Russie coïncidaient objectivement avec ceux des taliban afghans dans la lutte contre l’État islamique. » L’an passé, il avait plaidé en faveur d’une levée des sanctions contre le mouvement taleb afghan.

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