Le président Erdogan menace d’étendre les frappes contre les forces pro-Damas à l’ensemble de la Syrie

Depuis maintenant plus d’une semaine, le ton monte crescendo entre Ankara et Damas au sujet de la province d’Idleb, actuellement objet d’une offensive des troupes gouvernementales syriennes appuyées par les forces russes alors qu’une zone de « désescalade » y avait été instaurée dans le cadre des accords d’Astana et de Sotchi, conclu par la Russie et la Turquie.

Pour rappel, la province d’Idleb est en grande partie contrôlée par des organisations jihadistes, dont Hayat Tahrir Al-Cham [HTS, la plus importante, ndlr], et des groupes rebelles soutenus par Ankara. Or, la Turquie a constamment fait part de son opposition à toute offensive menée dans cette région afin d’éviter tout nouvel afflux de réfugiés vers son territoire. D’où les accords d’Astana et de Sotchi, en vertu desquels elle a établi 12 postes d’observation à la périphérie de cette zone.

Seulement, au printemps 2019, les forces syriennes et russes ont fini par passer à l’action. En août de cette année-là, elles firent « sauter » le verrou de Khan Cheikhoun, ce qui donna lieu à quelques frictions avec l’armée turque. Puis, plus récemment, elles ont repris le contrôle de la ville [stratégique] de Saraqeb ainsi que celui du secteur de Rachidine Al-Rabea [dans la province d’Alep], parachevant ainsi la reconquête de l’autoroute M5, reliant le sud du pays à ville d’Alep [nord] via Damas.

Ces avancées ont été réalisées malgré les avertissements lancés par Ankara après la mort d’au moins quatre soldats turcs, tués par des tirs d’artillerie attribués aux forces syriennes ayant entraîné une riposte de leurs homologues turques. Selon un bilan donné par ces dernières, elles auraient « neutralisé 76 soldats syriens. Ce qui n’a pas pu être confirmé.

« Deux de nos 12 postes d’observation [ceux de Morek et de Sourman, au sud des villes d’Idleb et de Saraqeb, ndlr] se trouvent derrière les lignes du régime. Nous espérons que le régime se retirera au-delà de nos postes d’observation avant la fin du mois de février. Si le régime ne se retire pas, la Turquie sera dans l’obligation de s’en charger », avait en effet prévenu Recep Tayyip Erdogan, le président turc, le 3 février dernier. Et d’insister : « Nous riposterons sans aucun avertissement à toute nouvelle attaque contre nos militaires ou contre les combattants [rebelles syriens] avec lesquels nous coopérons. »

Dans le même temps, M. Erdogan a reproché à Moscou de ne pas assez faire pression sur le régime syrien pour le contraindre à cesser ses opérations militaires.

Depuis, l’escalade verbale n’a pas cessé entre Ankara et Damas. Et, une semaine plus tard, des tirs d’artillerie syrien ont de nouveau cinq tués dans les rangs de l’armée turque, laquelle venait d’envoyer de conséquents renforts vers ses postes d’observation installées dans la province d’Idleb, l’arrivée d’au moins 150 véhicules militaires ayant signalée. Ce qui a donné lieu à une nouvelle riposte, qui, selon l’état-major turc, aurait « neutralisé 101 membres du régime [de Dama], trois chars et deux canons ». Des chiffres difficiles à confirmer de manière indépendante…

Mais, le 11 février, un nouvel incident s’est produit. Dans la matinée, un hélicoptère Mil Mi-17 syrien a en effet été abattu par un missile sol-air alors qu’il survolait la région d’Al-Nayrab, dans le sud d’Idleb. Les deux membres de l’équipage n’ont pas survécu à la chute de leur appareil. Si Hayat Tahrir Al-Cham et des rebelles syriens ont revendiqué cette action, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme [OSDH] ainsi que Damas ont accusé les forces turques. Et ses troupes ont ensuite bombardé des zones situées près d’un poste d’observation turc situé dans le même secteur.

« Plus ils attaqueront nos militaires, plus ils le paieront cher, très cher », a de nouveau prévenu M. Erdogan, lors d’un discours prononcé à Ankara. Et, ce 12 février, il a de nouveau durci le ton, promettant cette fois de s’en prendre aux troupes de Damas où qu’elles soient en Syrie.

« Si la moindre blessure arrivait à nos soldats sur les postes d’observation ou ailleurs, […] nous frapperons les forces du régime partout à partir d’aujourd’hui, et ce indépendamment des frontières d’Idleb ou de l’accord de cessez-le-feu de Sotchi » signé en 2018, a prévenu président turc. « Nous le ferons par tous les moyens nécessaires, par voie aérienne ou terrestre, sans hésiter », a-t-il insisté.

Cela étant, à Moscou, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a répondu à M. Erdogan en affirmant que la Turquie ne respectait pas les accords de Sotchi et, surtout, qu’elle ne faisait « rien pour neutraliser les terroristes » dans la région d’Idleb. Or, a-t-il dit, Ankara a « l’obligation de neutraliser les groupes terroristes » qui « bombardent les troupes syriennes et mènent des actions agressives contre les installations militaires russes. »

Dans un discours prononcé la veille devant le Parlement européen, Josep Borell, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a lancé une mise en garde. « Nous assistons à des affrontements entre le régime syrien et les forces turques, sans compter le risque de voir les militaires turcs et russes s’affronter. […] Ces tensions pourraient à leur tour déclencher un conflit régional plus large », a-t-il en effet affirmé, estimant que le cessez-le-feu négocié par Ankara et Moscou pour Idleb devait « être appliqué ».

Seulement, l’UE est « impuissante » dans cette affaire, a reconnu M. Borell. « Peu importe ce que nous disons, ‘ils devraient s’arrêter, ils devraient, ils devraient, il faut, il faut, il faut’. Oui, mais avec quel levier, avec quelle force, avec quelle capacité pouvons-nous agir sur les acteurs? », a-t-il demandé, lui qui avait dit la même chose au sujet de la Libye, devant un hémicycle quasiment vide, à Strasbourg, en janvier dernier.

Quoi qu’il en soit, cette situation est effectivement préoccupante, notamment parce que la Turquie fait partie de l’Otan et que nul ne sait où cette montée des tensions au sujet d’Idleb peut aller. Qui plus est, des affrontements ont été signalés ce 12 février entre les forces américaines et des milices pro-Damas près de Qamichli, dans le nord-est de la Syrie.

Plus précisément, au moins deux blindés américains auraient été accrochés à la hauteur du village de Kherat Ammo. Une frappe aérienne aurait été nécessaire pour permettre leur évacuation, selon l’OSDH.

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