L’état-major brésilien considère la France comme la principale menace militaire d’ici 2040

En août dernier, à l’occasion du sommet du G7, et lors que 13,1 millions d’hectares de forêts venaient de partir en fumée en Sibérie et que la végétation flambait en Afrique centrale, le président Macron s’en était vivement pris à son homologue brésilien, Jair Bolsonaro, pour sa politique ayant conduit à une hausse sensible des incendies en Amazonie, décrite à tort comme étant le « poumon de la planète ». Mieux : il avait également évoqué de conférer un « statut international » à la région amazonienne, ce qui provoqua un tollé à Brasilia. Et, visiblement, cet épisode a laissé des traces, à en juger par le rapport confidentiel de l’état-major brésilien ayant « fuité » dans la presse.

En effet, le 7 février, le quotidien Folha de S. Paulo a publié des extraits de ce rapport qui, intitulé « Scénarios de défense 2040 », a été rédigé à partir des prévisions de 500 officiers incarnant « l’élite militaire » du pays ayant participé à 11 réunions au cours du second semestre 2019. Il vise à contribuer à la révision de la « stratégie de défense nationale » actuellement en cours.

« Le texte de 45 pages contient des considérations géopolitiques réalistes et des hypothèses quelque peu délirantes », commente le journal brésilien. Dans quelle catégorie se classe celle faisant de la France la principale – si ce n’est la seule – menace militaire pour le Brésil?

Car cette hypothèse est très sérieusement envisagée dans l’un des quatre grands scénarios évoqués dans ce document. Ainsi, ce dernier imagine que Paris pourrait « formaliser en 2035 une demande d’intervention des Nations unies » dans les territoires de la tribu Yanomami », situés à la frontière avec le Venezuela, afin de soutenir « sans restriction un mouvement d’émancipation de ce peuple autochtone. » Et d’ajouter : « deux ans plus tard, la France a mobilisé ses forces armées en les positionnant en Guyane », département d’outre-Mer qui partage une frontière de 730 km avec le Brésil.

Les relations franco-brésiliennes ont connu quelques tensions par le passé. Comme en 1961, avec le conflit de « la langouste ». À l’époque, le Brésil avait autorisé des langoustiers français à pêcher dans ses eaux territoriales.

Mais, à la suite d’un différend commercial entre une société américaine [ou britannique selon certains sources] avec les pêcheurs français, Brasilia changea radicalement d’attitude et la marine brésilienne arraisonna cinq langoustiers français au-delà des limites de la mer territoriale du Brésil. D’où la réaction de la France, qui envoya sur place l’escorteur d’escadre Tartu, pendant qu’un groupe aéronaval constitué autours du porte-avions Clemenceau prenait position au large de l’Afrique de l’Ouest, à seulement deux jours de navigation des côtes brésiliennes.

La marine et l’aviation brésiliennes furent alors placées en alerte maximale et se tenaient prêtes à une confrontation, pendant que certains journaux brésiliens soufflaient sur les braises ont diffusant ce que l’on appelle aujourd’hui des « infox ». Finalement, l’affaire se régla via les canaux diplomatiques… Et le général de Gaulle fut même invité au Brésil, où il reçut un accueil chaleureux en octobre 1964.

Plus récemment, une autre affaire aurait pu mettre à mal les relations franco-brésiliennes, après l’explosion, au centre de lancement d’Alcântara, d’un lanceur VLS-1 V03 qui devait mettre sur orbite, en août 2003, deux satellites pour le compte de l’Agência Espacial Brasileira.

En effet, le Folha de S. Paulo [encore lui!] avait publié des notes du service brésilien du renseignement [ABIN] selon lesquelles la Direction générale de la sécurité extérieure [DGSE] était soupçonnée d’avoir été à l’origine de l’explosion du VLS-1 V03, qui coûta la vie à 21 personnes. La France, y était-il expliqué, avait un mobile : le site d’Alcântara pouvait faire de l’ombre au centre spatial guyanais de Kourou. Finalement, l’enquête démontra que l’accident avait été causé par des « accumulations dangereuses de gaz volatils, la détérioration de capteurs et des interférences électromagnétiques. »

Quoi qu’il en soit, et après lui avoir cédé le porte-avions Foch et des Mirage 2000C, la France et le Brésil sont depuis liés par un accord de partenariat stratégique [signé en 2006], lequel s’est traduit, au niveau militaire, par la livraison de 50 hélicoptères de manoeuvre Caraval et la construction de cinq sous-marins de type Scorpène. En outre, Paris a consenti à des transferts de technologies conséquents pour permettre à la marine brésilienne de se doter d’un sous-marin nucléaire d’attaque [programme PROSUB].

C’est, d’ailleurs, ce qu’a rappelé l’ambassade de France au Brésil. « Le fait est que le Brésil est notre principal partenaire stratégique en Amérique latine et que la France entretient des relations de coopération quotidiennes, étroites et amicales avec les forces armées brésiliennes depuis des décennies », a-t-elle commenté via Twitter.

« Si la France est en effet la future menace majeure pour sa sécurité nationale, alors le Brésil doit revoir le projet de construction de sous-marins à propulsion nucléaire. Sinon, l’étude ne sert que d’exercice de fiction psychédélique », a, de son côté, taclé Hussein Kalout, secrétaire aux Affaires stratégiques du gouvernement de l’ancien président Michel Temer, le prédécesseur de Jair Bolsonaro.

Quant aux autres scénarios, le rapport évoque notamment des tensions avec la Bolivie [avec une possible intervention militaire du Brésil à Santa Cruz de la Sierra pour y protéger les agriculteurs brésiliens] et le Venezuela. Pour ce dernier, Folha de S. Paulo écrit que « dans une simulation réaliste, ce pays profite des missiles balistiques qu’il a reçus de la Russie et de la Chine et envahit la République voisine de Guyana, ce qui obligerait éventuellement Brasilia à envisager une opération militaire. Or, par le passé, Caracas a déjà menacé son voisin pour ses réserves pétrolières, en affirmant ses prétentions sur le territoire de l’Essequibo.

Enfin, le document s’inquiète également de l’influence grandissante de la Chine en Amérique latine, sur fond de rivalité croissante avec les États-Unis, sur lesquels Jair Bolsonara a aligné sa politique étrangères.

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