Le dialogue entre la France et la Russie au niveau militaire reste très timide

Lors de son discours prononcé à l’occasion de la Conférence des ambassadeurs, le 27 août dernier, le président Macron avait dit vouloir « repenser » le lien entre la France et la Russie tout en invitant les diplomates à faire preuve « d’audace » et à « rompre » avec leur éventuelle défiance à l’égard de Moscou, même « si elle avait pu être justifiée par le passé ».

Pour M. Macron, « pousser la Russie loin de l’Europe » serait « une profonde erreur ». D’où la nécessité, selon lui, d’explorer « les voies d’un tel rapprochement et y poser nos conditions ».

Lors d’une audition devant les députés de la commission des Affaires étrangères, en novembre dernier, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], avait livré une clé de lecture.

« L’ordre du monde, tel que nous le prenons en compte dans notre vision stratégique, va se réorganiser autour du Pacifique dans une confrontation majeure. Cela doit nous conduire, nous, Européens – et les Français doivent prendre une part importante dans cette réflexion – à repenser notre positionnement. Nous ne pouvons pas abandonner le camp occidental. Le système européen est fondé sur des valeurs de droit et de démocratie, et la solidarité avec les États-Unis est extrêmement importante », avait expliqué le CEMA. « Pour autant, avait-il continué, nous ne pouvons, par exemple, laisser sans réagir les Chinois s’allier aux Russes – ce qui se produira demain quand ils se trouveront de plus en plus confrontés aux Américains. »

En outre, ce dialogue avec Moscou, tel que souhaité par le président Macron, devait permettre d’aborder quelques sujets de fâcherie… Comme la présence russe en Centrafrique, via la société militaire privée Wagner.

« Les Russes arrivent en Centrafrique, pays dont la France ne tire aucun avantage et où elle n’a aucun intérêt. […] Donc, si les Russes veulent venir aider ces pays à s’extraire de leur marasme, pourquoi pas? C’est l’attitude que nous avons adoptée quand ils sont arrivés en Centrafrique, mais il est arrivé ce qui devait arriver : ils ont commencé par se considérer comme nos concurrents et se sont lancés sur certains réseaux dans des actions extrêmement virulentes contre la France dans la guerre des perceptions. Les Russes venaient avec l’espoir de tirer avantage des ressources minières centrafricaines », raconta ensuite le général Lecointre aux députés lors de son audition.

« J’ai appelé mon homologue, le général Guérassimov, pour lui dire : ‘Finissons-en, et faisons du cas centrafricain l’exemple de notre capacité à coopérer' », avait-il ajouté. Et, a priori, la perche tarde à être saisie par Moscou.

Lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de la défense [AJD] et dont l’AFP s’est fait l’écho, le général Lecointre a redit ce que qu’il avait expliqué aux députés il y a près de trois mois. « J’ai demandé que nous fassions du cas précis de la Centrafrique le laboratoire de mise à l’épreuve de la bonne volonté affichée par la Russie pour être un partenaire dans la résolution des crises, et non pas quelqu’un qui souhaiterait utiliser ces crises à des fins de déstabilisation. » Or, a-t-il continué, « j’attends de pouvoir mesurer réellement le degré de bonne volonté de nos camarades russes. À ce stade, ça reste malgré tout assez difficilement perceptible. »

À noter que des actions « extrêmement virulentes contre la France dans la guerre des perceptions », pour reprendre l’expression du CEMA, sont constatées au Mali, pays qui suscite l’intérêt de la Russie, au même titre que la Centrafrique… Au point que M. Macron a récemment dénoncé des discours « indignes parce qu’ils servent d’autres intérêts, soit ceux des groupements terroristes […], soit ceux d’autres puissances étrangères qui veulent simplement voir les Européens plus loin, parce qu’elles ont leur propre agenda, un agenda de mercenaires. »

Cela étant, l’objectif de ce dialogue entre Français et Russes vise à « maintenir au plus bas niveau possible les crises que nous cherchons à apaiser, et éviter des confrontations qui seraient malheureuses pour eux comme pour nous », a expliqué le général Lecointre. Mais « ce travail commence, on ne s’embrasse pas sur la bouche, ce n’est pas le souhait ni d’une partie ni de l’autre », a-t-il dit. « On pourrait envisager des possibilités de préparations opérationnelles communes. Mais on n’en n’est pas encore là, on en est simplement à un niveau prospectif », a-t-il ajouté.

Même si les deux états-major ont établi une « ligne directe », les contacts entre les généraux Lecointre et Guerrasimov sont rares… Le CEMA français ayant précisé s’être entretenu avec son homologue russe « il y a quelques mois. » Ce qui est peu.

Or, a expliqué le général Lecointre, « ce qui m’intéresse, c’est d’être capable de parler avec les Russes. Est-ce que demain cela pourrait être au Levant? […] Il faut qu’on voie de quelles façons on peut éviter des confrontations inutiles et surtout mettre nos efforts en commun. » Mais pour discuter, encore faut-il que l’un et l’autre le veuillent…

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