Le général Lecointre « n’imagine pas » un engagement « avec les Allemands dans des combats durs à un horizon prévisible »

Dans domaine militaire, la France et le Royaume-Uni ont établi une coopération étroite dans le cadre des accords de Lancaster House, signés en novembre 2010. Et cela, tant au niveau opérationnel qu’industriel. À l’époque, ce rapprochement paraissait logique en raison des multiples points communs entre leurs forces armées respectives. Comme dit le dicton, « qui se ressemble s’assemble ».

Seulement, la sortie prochaine du Royaume-Uni de l’Union européenne [Brexit] change la donne. Sur le plan industriel pour commencer : les projets franco-britanniques tournent actuellement au ralenti.

« Nous avons conservé des briques technologiques destinées à construire des systèmes futurs de drones ; malheureusement, les difficultés budgétaires dans lesquelles se trouvait le Royaume-Uni ont fait qu’ils ont arrêté ce projet. Aujourd’hui restent, en matière de coopération d’industrie de défense des systèmes de guerre des mines ou des systèmes de missile naval qui, même si on ne les a pas abandonnés, sont peu avancés, et une coopération toujours efficace en matière nucléaire », a résumé le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], alors qu’il était entendu par les députés de la commission des Affaires étrangères, en novembre dernier [le compte-rendu a manqué de passer inaperçu…].

En revanche, le Brexit ne remet pas fondamentalement en cause la coopération opérationnelle entre les armées françaises et britanniques. Le déploiement d’hélicoptères de transport lourd CH-47D Chinook de la Royal Air Force [RAF] au Mali en est un exemple.

« Il s’agit pour eux [les Britanniques] d’une question existentielle : en réalité, ils ne peuvent pas se passer de la coopération militaire opérationnelle avec la France, et j’ai donc bon espoir que nous trouverons les moyens de prolonger notre coopération opérationnelle. Je sens très bien que les militaires britanniques souhaitent absolument que le Royaume-Uni reste dans un ménage franco-britannique. Ce ménage est objectivement déséquilibré, mais je suis prêt à accepter de jouer le jeu si cela permet de les accrocher à nos engagements, parce qu’il est important de les avoir avec nous », a ainsi expliqué le général Lecointre aux députés.

« Nous devons absolument préserver notre coopération opérationnelle avec le Royaume-Uni qui est ‘l’autre armée’ ayant la même culture d’intervention que la nôtre et la même conception d’ancienne puissance coloniale consistant à ne pas se laver les mains de ce qui se passe ailleurs que sur son seul territoire », a encore insisté le CEMA.

Cela étant, la musique n’est pas du tout la même avec l’Allemagne, avec laquelle la France partage pourtant une brigade [la BFA – Brigade franco-allemande] et, bientôt, un escadron de transport qui, doté d’avions C-130J Hercules, sera basé à Évreux.

« Quand on engage la brigade franco-allemande dans le Sahel, on engage en réalité les régiments français de cette brigade dans l’opération Barkhane et des officiers de l’état-major allemand de la même brigade à la MINUSMA [mission des Nations unies au Mali, ndlr] et dans la mission EUTM [mission européenne pour la formation des soldats maliens, ndlr]. Ils sont ensemble, sur le même théâtre, mais ils ne font pas du tout le même métier et les Allemands continuent de ne pas exposer leurs hommes à un engagement direct », ainsi rappelé le général Lecointre. Et, selon lui, cette situation n’évoluera pas de sitôt.

« Il n’y a pas de raison que l’on ne parvienne plus à faire ce que l’on fait maintenant. Je n’imagine pas une coopération d’engagement commun avec les Allemands dans des combats durs à un horizon prévisible », a en effet affirmé le CEMA.

Aussi, ce dernier n’a sans doute pas été surpris le refus de Berlin – exprimé à deux reprises – d’engager des unités des forces spéciales de la Bundeswehr au sein de la Task Force européenne Takuba, appelée à accompagner au combat les forces armées maliennes [FAMa] contre les groupes armés terroristes [GAT] du Sahel…

Aussi, et au-delà d’unités « organiques » communes, la coopération avec l’Allemagne dans le domaine militaire ne peut qu’être industrielle, étant donné que l’horizon est bouché avec le Royaume-Uni. Du moins, c’est ce qu’a expliqué le général Lecointre. « Nous ne pouvons faire l’économie de l’indispensable coopération avec l’Allemagne sur le plan industriel des technologies de défense », a-t-il dit.

Et même si cette coopération industrielle est souvent compliquée parce que les « Allemands pensent tout en termes de préservation de leur capacité industrielle » et que le système de prise décision est « plus cloisonné » qu’en France, « avec une très grande difficulté à mettre d’accord entre eux les directeurs d’administrations centrales et les représentants des ministères », a expliqué le CEMA, qui s’est dit « inquiet » au sujet du char du futur, un « projet franco-allemand qui avance trop lentement. »

Quoi qu’il en soit, a résumé le général Lecointre, le Brexit laisse la France dans « un face-à-face avec l’Allemagne, avec laquelle nous n’avons d’autre choix que de coopérer sur le plan industriel, et nous n’avons pas d’autre choix non plus que de poursuivre une coopération avec les Britanniques dans nos engagements opérationnels. » Et quid de l’Italie, pays avec lequel la France a une relation militaire assez riche?

Reste que la question sera donc, selon le CEMA, « de définir la place à donner aux Britanniques dans un nouvel accord à conclure avec les Européens » et il « faudra déterminer, en particulier, s’ils pourront continuer de participer à la coopération structurée permanente », alors que le Royaume-Uni ne fera plus partie de l’Union européenne.

« Nous devrons trouver une réponse à cette question délicate et, pour le reste, inventer le moyen d’associer les Britanniques à une sorte de ‘conseil de sécurité européen’ qui serait une excroissance de l’Union européenne. J’y travaillerai, car je tiens absolument à la proximité avec les Britanniques, que j’estime être une nécessité fondamentale », a conclu le général Lecointre.

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