Libye : Les troupes du maréchal Haftar s’emparent Syrte, grâce au ralliement d’une milice salafiste

Après en avoir reçu le feu vert de son Parlement, le président Recep Tayyip Erdogan a annoncé, le 6 janvier, le début du déploiement de militaires turcs en Libye, afin de soutenir le gouvernement d’union nationale [GNA] de Tripoli, avec lequel Ankara a signé un accord visant à renforcer la coopération en matière de défense ainsi qu’un mémorandum – contesté – sur les frontières maritimes entre la Turquie et la Libye.

Selon M. Erdogan, cet envoi de militaires turcs en Libye vise à « soutenir le gouvernement légitime et d’éviter une tragédie humanitaire ». Pour rappel, le GNA a été installé à Tripoli sous l’égide des Nations unies. Mais il n’est pas reconnu par le Parlement libyen élu en juin 2014, lequel soutient le gouvernement de Tobrouk, dont relève l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar.

Début avril, soutenue par l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite [voire par la Russie], l’ANL a lancé une offensive en direction de Tripoli, après avoir menée plusieurs opérations anti-jihadistes dans l’est et le sud de la Libye. De son côté, le GNA peut compter sur l’aide de la Turquie et du Qatar, voire de l’Italie.

Selon les explications données par M. Erdogan, la Turquie n’engagera pas ses soldats dans des combats… mais des officiers turcs seront chargés de coordonner les actions d’une « force combattante » en soutien au GNA. Et d’ajouter que cette « force combattant » sera composée de « différentes unités », sans donner plus de précisions. On sait toutefois que des combattants de groupes rebelles syriens soutenus par Ankara ont récemment été envoyés en Libye.

Il sera compliqué pour la Turquie d’en faire davantage. Déployer un important contingent à Tripoli suppose une protection aérienne. Or, ne disposant pas de porte-avions, les forces turques n’ont a priori aucune base sûre où elles pourraient mettre en oeuvre leurs aéronefs… Et les pays frontaliers [Tunisie et Algérie] ne sont pas disposés à les accueillir.

Mais, le 6 janvier et alors que les consultations diplomatiques vont bon train au sujet de l’intervention militaire turque, le maréchal Haftar a porté un coup dur au GNA en prenant le contrôle de Syrte, la ville natale du colonel Khadafi, autrefois tombée sous le joug de la branche libyenne de l’État islamique avant d’être reprises par les milices pro-GNA grâce à un appui aérien américain.

La prise de Syrte aura été extrêmement rapide, même si le porte-parole de l’ANL, le général Ahmed al-Mesmari, a expliqué que l’offensive avait fait l’objet d’une « préparation minutieuse qui a duré des mois », avec des raids aériens régulièrement menée contre la « Force de protection de Syrte », composée essentiellement de miliciens originaires de Misrata.

Entre la prise de l’aéroport de Ghardabiya, après la réddition de la force chargée d’en assurer la défense, et celle de la ville, il s’est écoulé environ trois heures. En outre, les combats ont a priori été limités. En réalité, l’opération a grandement été facilitée par le ralliement à l’ANL de la 604e Brigade, une milice « madkhaliste », du nom du courant salafiste fondé dans les années 1990 par le saoudien Rabi al-Madkhali pour lutter contre les Frères musulmans et les jihadistes.

Par le passé, leur doctrine prônant une soumission aux wâlî-l-amr [c’est à dire à ceux qui détiennent l’autorité, ndlr], les madkhalistes ont soutenu le colonel Kafhafi, y compris durant la « révolution » de 2011. Puis, ils se sont ralliés au Gouvernement de salut national, lequel s’est effacé devant le GNA en 2016.

Actuellement, les madkhalistes sont représentés dans la milice Al-Saiqa de Benghazi et de Derna [il s’agit de l’une des principales unités de l’ANL] ainsi qu’aun sein de la Force Rada, qui soutient le GNA [au point de passer sous l’autorité du ministère de l’Intérieur]. Or, comme il est rappelé dans « Ramses 2019 – Les Chocs du futurs », Rabi al-Madkhali exhorte ses partisans « à soutenir Khalifa Haftar, sans crainte de contredire le message anti-islamiste du maréchal. » Cela étant, la même chose valait pour le colonel Kadhafi…

Les « fatwas » qu’émet le cheick al-Madkhali depuis Médine ont-elles joué un rôle dans le changement d’alliance de la 604e Brigade? Sans doute. Mais elles ne constituent pas la seule explication.

« Sur le papier, la 604e Brigade est fidèle au gouvernement d’union nationale. Mais la plupart de ses commandants ne lui font pas confiance. Ses dirigeants les plus importants appartiennent à la tribu des Ferjan [comme le maréchal Haftar, ndlr]. Ils sont coincés entre leur loyauté tribale et leur affiliation militaire envers la Force de protection de Syrte », expliquait récemment Omar al-Hawari, de l’European University Institute.

Quoi qu’il en soit, le GNA a subi un grave revers en perdant Syrte. Plusieurs miliciens qui lui sont loyaux ont été faits prisonniers et leurs équipements ont été saisis. Et, désormais, la ville étant un verrou stratégique entre la Cyrénaïque [est] et la Tripolitaine [ouest], l’ANL s’est ouvert l’accès à Misrata, qui, située à 250 km plus à l’ouest, est le siège des milices qui protègent actuellement Tripoli des assauts des forces du maréchal Haftar.

D’après le quotidien [pro-GNA] Libya Observer, le GNA prépare une riposte. « La Force Al-Bonyan Al-Marsous, qui a vaincu l’Etat islamique à Syrte, s’est mobilisée pour lancer une contre-attaque sur Syrte et pour repousser les groupes armés de Haftar, qui ont pris le contrôle de la majeure partie de la ville lundi », a-t-il en effet indiqué, ce 7 janvier.

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