Le torchon brûle entre Bagdad et Washington, après les frappes américaines contre une milice chiite

Depuis plusieurs semaines, les bases irakiennes abritant des militaires américains engagés dans l’opération anti-jihadiste Inherent Resolve sont régulièrement visées par des tirs de roquettes et d’obus de mortiers. Jusqu’à présent, Washington s’était gardé de réagir, tout en accusant les milices chiites affiliées à l’Iran d’en être les responsables. Jusqu’à celle du 27 décembre.

Ce jour-là, la base K1, située près de Kirkouk, a été la cible d’une trentaine de roquettes. Un sous-traitant américain y a laissé la vie et « plusieurs » soldats américains ont été blessés. D’une ampleur jusqu’ici inédite, cette nouvelle attaque aura été celle de trop. Et, deux jours plus tard, des F-15 de l’US Air Force ont visé des positions que le Kata’ib Hezbollah [KH ou Kataëb Hezbollah] avait établie en Irak et en Syrie. Ces frappes ont fait 25 tués.

« Les cibles choisies étaient des installations de commandement et de contrôle opérationnel ou des caches d’armes du Kata’ib Hezbollah », une des factions pro-Téhéran de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi, a expliqué Mark Esper, le chef du Pentagone, peu après ces raids aériens. Puis il a indiqué s’être rendu en Floride, avec Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, pour informer le président Trump des derniers développements au Moyen-Orient. « Nous avons discuté avec lui des autres options qui sont sur la table », a-t-il dit, avant de préviser que des « actions supplémentaires » poruraient être décidées « si nécessaire. »

« C’était une réponse ferme, mais proportionnée », a estimé David Schenker, le secrétaire d’État ajoint chargé du Moyen-Orient, lors d’un point presse. « Nous ne cherchons pas une escalade, là, nous cherchons une désescalade », a-t-il fait valoir.

« Ces dernières années, les Iraniens ont pris notre absence de réponse comme une faiblesse et ils n’ont pas cessé d’en rajouter. […] Alors inévitablement, ils ont tué un Américain. […] Nous avons pensé qu’il était important de frapper une cible clé pour envoyer un message très clair sur l’importance que nous accordons aux vies américaines », a ensuite expliqué M. Schenker.

Émissaire américain pour l’Iran, Brian Hook a estimé que les États-Unis avaient jusqu’alors fait preuve de retenue, en ne répliquant pas aux attaques précédentes. « Nous espérions vraiment que l’Iran ne ferait pas l’erreur de prendre notre retenue pour de la faiblesse. Mais après autant d’attaques, il était important que le président ordonne à nos forces armées de répondre d’une façon que le régime iranien comprenne », a-t-il dit.

Reste que, et outre la réaction attendue de Téhéran, qui a évidemment condamné les frappes américaines contre le le Kata’ib Hezbollah, Bagdad a menacé de « revoir » l’accord de coopération qui lie l’Irak aux États-Unis et en vertu duquel 5.200 militaires américains sont déployés sur le territoire irakien.

« Les forces américaines ont agi en fonction de leurs priorités politiques et non de celles des Irakiens », a en effet dénoncé le gouvernement démissionnaire irakien, le 30 décembre. « La protection de l’Irak, de ses bases militaires, des forces qui y sont présentes et des chancelleries relève de la responsabilité exclusive des forces de sécurité irakiennes », a-t-il ensuite fait valoir.

Et d’estimer que les frappes américaines ont « violé la souveraineté » de l’Irak tout en contrevenant « aux règles d’engagement » de la coalition » anti-jihadiste. Elles « poussent l’Irak à revoir ses relations et son cadre de travail sur les plans sécuritaire, politique et légal pour protéger sa souveraineté », a conclu le gouvernement démissionnaire.

Pour rappel, en août dernier, Bagdad avait décidé d’imposer des restrictions aux opérations de la coalition dans son espace aérien, après de mystérieuses frappes ayant visé des milices chiites irakienne. Il fut avancé, à l’époque, que la force aérienne israélienne en avait été à l’origine.

Cependant, le Premier ministre irakien, Adel Abdel Mahdi, a reconnu qu’il avait été prévenu de l’intention américaine de frapper la milice chiite. Le chef du Pentagone « m’a dit que les Etats-Unis allaient frapper les brigades du Hezbollah et je lui ai répondu que c’était un acte dangereux qui pouvait mener à une escalade », a-t-il déclairé. « Nous avons essayé de prévenir des commandants mais visiblement en vain tant le bilan humain et les dégâts matériels sont importants. Des dépôts d’armes de la police ont été détruits dans ces frappes », a-t-il continué.

En retour, Washington a accusé les autorités irakiennes de ne pas avoir de mesures pour « protéger » les intérêts américains.

« Nous avons prévenu le gouvernement irakien à plusieurs reprises et nous avons partagé des informations pour tenter de travailler avec lui afin qu’il assume sa responsabilité de nous protéger, en tant que puissance invitée », a affirmé un haut responsable américain, cité par l’AFP. Rappelant que les militaires et les diplomates américains sont en Irak « à l’invitation du gouvernement irakien », il a estimé qu’il est de la responsabilité et du devoir de ce dernier de les protéger. « Et ils [les Irakiens] n’ont pas pris les mesures adéquates pour cela », a-t-il déploré.

Quoi qu’il en soit, la tension est encore montée d’un cran, ce 31 décembre, à l’occasion des obsèques des 25 tués miliciens chiites tués par les frappes américaines. Ainsi, après avoir arraché les dispositifs de surveillance, brûlé des drapeaux et forcé le périmètre de sécurité installé par les forces de sécurité irakiennes, des milliers de manifestants, appartenant, pour la plupart, au Hachd al-Chaabi, ont réussi à pénétrer à l’intérieur de l’ambassade des États-Unis, située à l’intérieur de la « zone verte », un secteur ultra sécurisé de Bagdad.

En outre, les manifestants ont scandé des slogans habituellement lancé par l’Iran, du style « l’Amérique est le grand Satan ». Et d’exiger le départ des Américains.

« Le Parlement doit dégager les troupes américaines, sinon c’est nous qui allons les dégager », « Fermez l’ambassade américaine à Bagdad », ont crié les miliciens du Hachd al-Chaabi, dont certains ont tenté de mettre leur au mur extérieur de l’ambassade.

Quant aux forces américaines chargées de défendre l’emprise diplomatique, elles ont tiré des grenades lacrymogènes et assourdissantes. Le Hachd al-Chaabi a indiqué avoir au moins 20 blessés dans ses rangs.

De son côté, le président Trump s’en est pris à l’Iran, qu’il a accusé d’avoir « orchestré » cet assaut contre l’ambassade américaine.

« L’Iran orchestre une attaque contre l’ambassade américaine en Irak. Ils seront tenus pour pleinement responsables. De plus nous attendons de l’Irak qu’il utilise ses forces pour protéger l’ambassade », a réagi le chef de la Maison Blanche, via Twitter.

Enfin, le Premier ministre irakien a appelé les manifestants du Hachd al-Chaabi à mettre un terme à leur attaque contre l’ambassade américaine. « Les forces irakiennes interdiront rigoureusement toute atteinte à une représentation diplomatique », a-t-il prévenu. Ce qui a, pour le moment, été sans effet.

Ces évènements ont lieu alors que l’Irak traverse une crise politique et sociale, marquée par des manifestations de civils durement réprimées. Selon les protestataires, ce serait le Hachd al-Chaabi qui aurait été à la manoeuvre.

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