Barkhane : Berlin n’envisage pas de participer à l’unité de forces spéciales européennes voulue par la France
En Afrique de l’Ouest, ces derniers jours ont été marqués par la mort de 14 militaires nigériens lors d’une embuscade tendue par des jihadistes dans la région de Tillabéri ainsi que par la revendication par l’État islamique des attaques menées au Burkina Faso [35 civils tués, dont 31 femmes] et l’assassinat, le jour de Noël, de 11 chrétiens dans le nord-est du Nigeria.
Un rapport des Nations unies, publié l’été dernier, s’était inquiété de l’emprise de plus en plus importante des groupes jihadistes en Afrique de l’Ouest, notamment dans la région du Sahel. Et de souligner que, profitant de la « porosité des frontières » et du « manque de moyens des autorités » locales, la « violence » montait alors « en flèche sous l’influence d’affiliés de l’EI ou d’al-Qaïda » et que leurs « activités de recrutement s’étaient multipliées ».
Engagée militairement avec la Force Barkhane [4.500 militaires], la France a lancé un appel à ses partenaires européens pour mettre sur pied l’opération Takuba, qui consisterait à déployer des forces spéciales auprès des armées locales [notamment malienne] afin de les aider à contrer la menace jihadiste.
Cette idée avait été évoquée pour la première fois en juin dernier par Florence Parly, la ministre des Armées, à l’occasion d’une visite au 4e Régiment d’Hélicoptères de Forces spéciales [RHFS]
L’Europe « doit intégrer dans son logiciel l’action contre le terrorisme » car si le Sahel n’est pas stabilisé, elle aura « durablement sur sa tête non pas une, mais deux épées de Damoclès : celle du terrorisme et des prises d’otages, et celle des migrations illégales, dont beaucoup transitent par ces territoires », fit valoir Mme Parly. Aussi, avait-elle continuén « il faut accompagner les forces armées sahéliennes après les avoir formées, y compris lorsqu’elles vont au combat, et pas seulement dans les états-majors. »
Début novembre, la ministre française a donc annoncé le lancement prochain de la force Takuba, appelée à « compléter » Barkhane et à dessiner « le nouveau visage de la lutte contre le terrorisme au Sahel. » Restait donc à voir quels seraient les pays européens prêts à y participer.
Pour le moment, il est acquis que l’Estonie, qui prend déjà part à l’opération Barkhane, enverra des forces spéciales au Mali à compter du second semestre 2020 et que la Belgique mettra trois officiers à la disposition de l’état-major de l’opération Takuba. La République tchèque a indiqué qu’elle y participerait également, par la voix de Tomas Petricek, son ministre des Affaires étrangères.
« Un pays comme le mien prend ses responsabilités dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. […] Nous sommes de plus en plus conscients que nous devons porter notre attention sur la sécurité de notre voisinage au sud. Nous avons appris de la crise migratoire. Nous avons vu que la situation en Libye avait un impact direct sur l’ensemble de l’Europe. Et nous avons assisté à une prolifération des groupes terroristes au Sahel ces dernières années. Le terrorisme pourrait se disperser », a en effet expliqué le chef de la diplomatie tchèque, dans les colonnes du quotidien Le Monde, en novembre.
Quant à l’Allemagne, elle passera son tour. En effet, selon l’agence allemande DPA, Berlin a « refusé à deux reprises les demandes de la France pour participer au déploiement de forces spéciales européennes pour combattre les islamistes au Mali ».
En outre, toujours d’après DPA, le ministère allemand de la Défense a « dressé un sombre tableau de la situation sécuritaire dans la région du Sahel » dans un document « classifié ». Ainsi, souligne-t-il, la « menace est caractérisée par des groupes jihadistes et le crime organisé » et les groupes armés terroristes [GAT] jouissent d’une « grande liberté de mouvement » et pourraient « agir sans restriction ». Et d’ajouter que « la valeur opérationnelle de la Force conjointe du G5 Sahel est actuellement faible » et que les forces de sécurité maliennes ont « atteint leurs limites malgré le soutien international. »
Cela étant, en mai dernier, un reportage publié par Y, le magazine de la Bundeswehr, avait évoqué les formations données par des commandos allemands à leurs homologues nigériens. Ce qui fit polémique, cette mission n’ayant pas été approuvée par le Bundestag alors qu’elle passait pour être risquée, le Niger étant régulièrement la cible d’attaque jihadiste.
Actuellement, jusqu’à 1.100 soldats de la Bundeswehr peuvent être déployés au Mali, que ce soit au titre de la mission européenne EUTM Mali ou à celui de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali [MINUSMA]. Comme le rappelle DPA, cette présence au Sahel est « considéré comme étant le déploiement le plus dangereux » des forces allemandes.