L’administration Trump serait sur le point d’annoncer le retrait de 4.000 militaires américains d’Afghanistan
« L’optimisme est une forme de courage qui donne confiance aux autres et mène aux succès », a dit Baden Powel, le fondateur du mouvement scout. Pourtant, les autorités américaines n’ont jamais manqué de voir le verre à moitié plein pour évoquer la situation de l’Afghanistan, qui à embellir la réalité.
C’est en effet ce qu’ont montré, s’il en était encore besoin, les « Afghanistan Papers« , publiés la semaine passée par le Washington Post, après une bataille judiciaire de trois ans pour avoir accès aux entretiens réalisés par l’Inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan [SIGAR].
Cela étant, on pouvait s’en douter à la lecture des rapports régulièrement diffusés par le SIGAR, lesquels ont dénoncé les milliards de dollars évaporés sous l’effet de la corruption, les évaluations tronquées ou bien encore les estimations bien trop optimistes des résultats obtenus contre les taliban dans certaines provinces ou du niveau des effectifs militaires afghans. En août dernier, encore, il avait ainsi évoqué le cas des « soldats fantômes » de l’Armée nationale afghane…
Un autre exemple concerne al-Qaïda. Pendant des années, et quelle que soit l’administration en place à Washington, il a été dit que l’organisation terroriste ne comptait plus que 50 à 100 combattants en Afghanistan… Or, une opération américaine menée en octobre 2015 contre des camps d’entraînement installés dans la province de Kandahar avait permis de « neutraliser » plus de 150 jihadistes….
« Les mauvaises nouvelles étaient souvent étouffées. […] Lorsque nous avons essayé d’exprimer des préoccupations stratégiques plus vastes sur notre capacité à l’emporter ou la corruption, il était clair que ce n’était pas le bienvenu », explique l’ex-colonel Bob Crowley, dans les colonnes du Washington Post.
« Notre politique était de créer un gouvernement central fort. Mais c’était idiot parce que l’Afghanistan n’a pas d’antécédents de gouvernement de ce type. […] Le délai pour créer un gouvernement central fort est d’un siècle. Nous n’avions pas ce temps-là », a résumait, en 2015, un ancien responsable de la diplomatie américaine.
Ancien chef de la Force internationale d’assistance à la sécurité [ISAF], déployée en Afghanistan par l’Otan, le général américain Stanley McChrystal avait admis, en 2011 [soit peu après avoir été démis de ses fonctions pour avoir critiqué le président Obama, ndlr] que les États-Unis avaient une « compréhension terriblement simpliste » de la situation afghane.
« Nous n’en savions pas assez et nous n’en savons pas encore assez. […] La plupart d’entre-nous – moi y compris – avions une compréhension très superficielle de la situation et de l’histoire [de l’Afghanistan] et nous avions une vue terriblement simpliste de l’histoire récente », avait en effet déploré le général McChrystal.
Quoi qu’il en soit, et alors qu’il était fait état de soupçons concernant un soutien de la Russie et de l’Iran aux taliban, le président Trump décida, durant l’été 2017, de revoir la stratégie américaine, sur les conseils de James Mattis, le chef du Pentagone.
Ainsi, Washington mit la pression sur le Pakistan, accusé de double-jeu [ce qu’Islamabad ne pouvait pas cacher], envoya des renforts et s’attaqua au trafic de drogue, principale ressource du mouvement taleb. Puis, les résultats tardant à se faire sentir, M. Trump donna son feu vert à des négociations avec les taliban, son objectif étant de mettre un terme à l’engagement des États-Unis en Afghanistan.
En septembre, un accord était sur le point d’être conclu. Seulement, le président Trump fit machine arrière… Il faut dire que le « timing » n’était pas très heureux, une délégation des taliban étant alors attendue à Camp David peu avant les commémorations des attentats du 11 septembre 2001.
Pour rappel, ce projet d’accord prévoyait une réduction progressive de l’engagement militaire américain en échange de la promesse des taliban à ne plus jamais laisser les terroristes agir depuis l’Afghanistan… Ce qui paraît, là encore, un peu trop optimiste, quand on sait que le chef d’al-Qaïda a prêté allégeance à celui du mouvement taleb afghan…
Finalement, fin novembre, le président Trump a annoncé la reprise des négociations, ce qui n’a nullement empêché les taliban de revendiquer une attaque contre la base américaine de Bagram, le 11 décembre [2 morts et 73 blessés civils, ndlr].
C’est donc dans ce contexte que, d’après NBC et CNN, l’administration Trump serait sur le point d’annoncer le retrait d’Afghanistan de 4.000 soldats américains. Selon deux sources officielles, certaines unités seraient redéployées plus tôt que prévu tandis que d’autres ne seraient pas remplacées au moment de leur relève.
Visiblement, la mission Resolute Support, conduite par l’Otan afin d’entraîner et de former les forces afghanes, n’a pas été mise dans la confidence. « Nous restons pleinement déterminés à faire en sorte que l’Afghanistan ne serve plus jamais de refuge aux terroristes qui menacent les États-Unis, nos alliés ou nos intérêts », a en effet déclaré un porte-parole, interrogé par l’AFP.
En attendant, la situation de l’Afghanistan, telle qu’elle a été décrite par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans son dernier rapport, demeure très compliquée.
« Les conditions de sécurité sont restées précaires et le nombre d’atteintes à la sécurité élevé. Entre le 9 août et le 7 novembre 2019, la MANUA [Mission des Nations unies en Afghanistan, ndlr] en a dénombré au total 6 654, soit une augmentation de 13 % par rapport à la même période l’année précédente. Ces atteintes ont été les plus nombreuses dans le sud du pays, suivi des régions de l’est et du sud-est, ces trois régions représentant 60 % des cas recensés », relève M. Guterres.
Et d’ajouter : « Les tendances restent inchangées : avec 3.666 cas recensés, les affrontements armés ont représenté 55 % de toutes les atteintes à la sécurité, ce qui correspond à une augmentation de 3% par rapport à la même période en 2018. Les attaques à l’aide d’engins explosifs improvisés arrivent en deuxième position, enregistrant une hausse de 9 % par rapport à la même période en 2018 ; les attentats-suicides ont, eux, augmenté de 24 %. Les forces aériennes afghanes et internationales ont procédé à 488 frappes aériennes pendant la période considérée, soit une augmentation de 32% par rapport à la même période en 2018. Quarante pour cent de ces frappes ont eu lieu dans les provinces du Helmand et de Ghazni. »
Toutefois, l’une des rares avancées positives aura été, en novembre, la reddition de plus de 600 combattants de la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique [EI-K], annoncée par président afghan, Ashraf Ghani.
Seulement, un autre rapport des Nations unies, publié dans le courant de l’été, a affirmé que le mouvement taleb afghan reste le « principal partenaire de tous les groupes terroristes qui opèrent en Afghanistan, à l’exception de l’État islamique » et qu’il entretient toujours des liens étroits avec al-Qaïda, le réseau Haqqani [basé au Pakistan], le Lashkar-e-Taïba, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan le Mouvement islamique du Turkestan oriental et près d’une vingtaine d’organisations d’envergure régionale et mondiale. « En échange d’une protection et de la possibilité de poursuivre leurs propres activités, les combattants étrangers restent aussi nombreux à opérer sous l’autorité des taliban dans plusieurs provinces afghanes », a assure le document.