Un tribunal allemand donne raison à Rheinmetall, qui contestait l’embargo sur les livraisons d’armes à Riyad

En octobre 2018, Berlin décida d’imposer un embargo sur les ventes et les livraisons d’équipements militaires à l’Arabie Saoudite, considérée comme responsable de l’assassinat, en Turquie, du journaliste saoudien Jamal Kashoggi. Et, depuis, cette mesure a été reconduite jusqu’en mars 2020.

Seulement, cette mesure a mis en difficulté plusieurs industriels européens ayant des contrats à honorer avec Riyad. Ayant recours à des sous-traitants basés outre-Rhin, ces derniers ne sont en effet plus en mesure de livrer les équipements qui leur ont été commandés pour les besoins des forces saoudiennes.

D’où la décision du groupe allemand Rheinmetall de contester cet embargo décrété par Berlin devant les tribunaux.

En effet, en novembre 2016, Rheinemetall avait obtenu de la part de Riyad un contrat de 134 millions d’euros pour livrer 110 camions militaires dérivés du modèle HX81 produit par RMMV [Rheinmetall MAN Military Vehicles]. Et il était question d’une commande portant sur des véhicule supplémentaires ainsi que sur des services logistiques pour une durée de cinq ans.

Quand le gouvernement allemand décréta un embargo sur les ventes et les livraisons de matériels militaires à l’Arabie Saoudite, Rheinemetall avait déjà livré 20 camions. Le retrait de la licence d’exportation relative à ces véhicules allait donc se traduire par un manque à gagner, d’autant plus que le reste de la commande était sur le point d’être honorée.

Le jugement que vient de rendre le tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main n’a pas fait beaucoup de bruit [sauf dans la presse économique d’outre-Rhin]… Et pourtant, les magistrats ont infligé un camouflet au gouvernement allemand en estimant que la décision de retirer la licence d’exportation à Rheinmetall n’avait pas été suffisamment motivée.

« Le simple fait que le gouvernement fédéral s’inquiète des préoccupations étrangères et de sécurité en matière d’exportation d’armes à destination de Riyad n’est pas suffisant pour révoquer un permis d’exportation déjà délivré. En outre, la société peut avoir droit à une indemnisation », ont fait valoir les juges.

Selon eux, la disparition de Jamal Kashoggi n’a pas constitué un « tournant ». L’Arabie Saoudite est un « pays qui a posé des difficultés, qui en pose encore et qui en posera à l’avenir », a déclaré Rainald Gerster, le président du tribunal.

En clair, la licence d’exportation avait été accordée par Berlin alors que les autorités allemandes savaient que plusieurs personnes avaient été exécutées [en public] à plusieurs reprises en Arabie Saoudite et que ce pays était à la tête d’une coalition engagée au Yémen. Aussi, elles auraient dû dire en quoi l’affaire Kashoggi pouvait motiver un embargo. Ce qu’elles n’ont donc pas fait.

La décision du tribunal administratif ouvre également la voie à une indemnisation de Rheinmetall, l’industriel ayant fait valoir que le stockage des camions n’ayant pas pu être livré lui coûtait cinq millions d’euros. Qui plus est, Riyad était sur le point de lui attribuer un nouveau contrat de 3,5 millions d’euros, dans le cadre du même marché.

« Le verdict est à la fois une gifle administrative et une honte politique », a résumé le quotidien Handelsblatt, pour qui « ce n’est pas tous les jours que l’on voit un tribunal administratif local faire la leçon au gouvernement fédéral en pointant des erreurs de débutants dans des décisions de portée internationale. »

Cependant, si ce jugement peut toujours faire l’objet d’une procédure en appel [qui n’a, pour le moment, pas été lancée], il pourrait inspirer d’autres industriels allemands se trouvant dans la même situation que Rheinmetall. C’est ainsi le cas du chantier naval de Lürssen, qui avait été autorisé à vendre 18 patrouilleurs à Riyad avant d’être empêché de le faire. Ainsi que celui d’Airbus, qui a également des contrats importants à honorer [sécurisation des frontières, notamment ndlr].

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