L’ONERA fragilisé, les études amont du Système de combat aérien du futur pourraient être confiées à l’Allemagne
L’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA] est appelé à tenir un rôle important [voire crucial] dans plusieurs programmes lancés par le ministère des Armées. En effet, il est notamment impliqué dans le développement du Système de combat aérien du futur [SCAF], du démonstrateur hypersonique V-MAX, du missile ASN4G, pour la composante aéroportée de la dissusion nucléaire, et les capacités devant permettre à la France de protéger ses satellites en orbite.
En janvier, la ministre des Armées, Florence Parly, avait annoncé qu’un « financement exceptionnel » de 160 millions d’euros allait être accordé à l’ONERA pour faciliter sa réorganisation, dont le regroupement sur le plateau de Saclay de ses trois implantations en Île-de-France.
En outre, la loi de finances 2019 prévoyait, pour la troisième année consécutive, une subvention de 104,7 millions d’euros, conformément au contrat d’objectifs et de performance [COP] établi pour la période 2017-21, ainsi qu’une nouvelle dotation de 2 millions d’euros pour financer la poursuite du chantier de renforcement de la soufflerie S1MA de Modane-Avrieux, en Savoie.
Cela étant, lors de l’examen par le Parlement du projet de loi de finances [PLF] 2019, des parlementaires ont estimé qu’il était « temps de s’interroger sur l’adéquation du COP, et de la stabilité de l’effort de l’Etat qu’il porte, au nouveau contexte défini par la Revue stratégique de 2017 et la LPM du 13 juillet 2018. » Et donc de suggérer une hausse des moyens alloués à l’ONERA.
D’autant plus que, dans le même temps, le Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt [DLR], c’est à dire le Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, avait vu sa subvention augmenter de 50%, pour atteindre les 180 millions d’euros. Une donnée qui ne peut que donner matière à réfléchir, au moment où la France et l’Allemagne sont impliquées dans les programmes SCAF, Eurodrone et, bientôt MAWS [Maritime Airborne Warfare System].
Or, la situation de l’ONERA est encore fragile, en particulier dans le domaine des ressources humaines. Dans son rapport pour avis sur les crédits qu’il est prévu d’affecter au programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » en 2020, le député Didier Baichère [LREM] s’est inquiété du « du nombre important de démissions, parmi le personnel de l’institut, et de la pyramide des âges défavorable indiquant un nombre conséquent de départs à la retraite dans les prochaines années. »
Dans leur rapport qu’ils ont remis au nom de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, Pascal Allizard [LR] et Michel Boutant [PS] font le même constat. Et ils vont plus loin en posant cette question : « Pourquoi fragiliser l’ONERA? ».
En apparence, le PLF 2020 prévoit une hausse de la subvention accordée par le ministère des Armées à l’ONERA, cette dernière devant être portée à 105,7 millions d’euros [contre 104,7 millions en 2019, nldr].
Seulement, écrivent MM. Allizard et Boutant, « il faut savoir qu’en 2019, l’État apportait également 2 millions d’euros de dotation en fonds propres. L’effort de l’Etat pour l’Office diminue donc en réalité d’un million. » Et d’ajouter : « Pourrait s’ajouter à cela le fait que l’ONERA, contrairement aux années précédentes, ne serait plus exemptée de la mise en réserve de crédits, ce qui diminuerait encore son budget disponible d’environ 2 millions d’euros. »
En outre, le PLF 2020 prévoit la suppression de 11 postes au sein de l’ONERA. Sur ce point, font valoir les rapporteurs, « cette cure prolongée d’austérité budgétaire a des conséquences fortes sur les ressources humaines de l’Office, dont le niveau de rémunération est, toutes choses égales par ailleurs, inférieur par exemple à celui constaté à la DGA [Direction générale de l’armement], et, bien évidemment, très inférieur à celui trouvé dans les entreprises privées du secteur aéronautique.. »
« Les salaires, à qualification équivalente, inférieurs de 300 euros par mois en moyenne à ceux proposés par la DGA, qui, à l’embauche, offre un salaire plus élevé que l’office. Il convient également d’observer que la subvention pour charges de service public de 105 millions d’euros représente non seulement moins de la moitié des ressources de l’office, contrairement à d’autres EPIC, mais ne couvre pas la masse salariale qui est de 154 millions d’euros », a, de son côté, fait observer le député Didier Baichère.
Selon une étude de l’Agence de l’innovation de Défense [AID], il faudrait accorder 5 millions de plus à l’ONERA pour lui permettre de combler l’écart de salaires entre les personnels de l’ONERA et ceux de la DGA.
Cette situation ne peut donc que fragiliser l’ONERA par rapport à son pendant allemand qui bénéficie d’une hausse continue de sa subvention annuelle que lui verse Berlin.
Et, d’après MM. Allizard et Boutant, il semblerait « qu’à ce stade il soit envisagé que les études amont du projet SCAF soient confiées au DLR [qui n’a pourtant pas d’expérience passée en matière d’avion militaire], et non à l’ONERA. » Aussi, préviennent-ils, « si ce point devait être confirmé, il constituerait aux yeux de la commission une difficulté majeure en terme de pilotage du projet. »
Pour rappel, le SCAF est un projet qui, conduit par la France dans le cadre d’une coopération avec l’Allemagne et l’Espagne, vise à développer un « système de systèmes » reposant sur un nouvel avion de combat [New Generation Fighter, NGF], dont la maîtrise d’oeuvre a été confiée à Dassault Aviation, Airbus Defence & Space devant assurer celle de « l’Air Combat Cloud » et des drones d’appui.
Reste que pour les deux sénateurs, cette situation dans laquelle se trouve l’ONERA, dont l’excellence est reconnue au niveau mondial, « s’explique mal ». D’où leur interrogation sur le fait que, avec un budget de défense qui augmente de 1,7 milliard, le « gouvernement et la DGA ne trouvent pas les quelques millions qui redonneraient une bouffée d’air à cette pépite technologique. »
« Peut-être s’agit-il là d’un de ces effets de latence qui font que certaines parties de l’appareil de défense ne se sont pas encore adaptées à la nouvelle perspective de remontée en puissance de notre effort de défense. Ce dossier reste donc un sujet de préoccupation, dans un contexte général marqué par la remontée attendue des crédits », concluent les rapporteurs.