Le drone européen MALE RPAS coûterait 30% plus cher que le prix attendu par le ministère des Armées

Lors de son audition au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2020, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA] s’était dit inquiet au sujet de l’avenir du projet de drone MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] européen, encore appelé Eurodrone ou MALE RPAS.

Pour rappel, la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 prévoit l’acquisition de « 6 systèmes Eurodrone » composés chacun de trois vecteurs aériens ainsi que deux stations sol à l’horizon 2025.

Lancé en 2013, soit après plusieurs tentatives de coopération ayant toutes échouées, afin de trouver une alternative européenne aux drones américains et israéliens, ce projet est conduit par Airbus [50%], Dassault Aviation [35%] et Leonardo [15%]. Devant bénéficier d’un financement de l’Union européenne au titre du Programme européen de développement de l’industrie de Défense [PEDID], il a franchi une étape majeure en novembre 2018 en passant avec succès sa revue de conception préliminaire.

Seulement, ce programme est actuellement à l’arrêt. Et il ne manque pas de susciter beaucoup de doutes, notamment au niveau de ses [sur]spécifications, exigées par les pays clients [Allemagne, France, Italie, Espagne].

Ainsi, Berlin a tenu à ce que l’Eurodrone ait une double motorisation [une exigence oubliée pour son projet visant à acquérir des appareils américains MQ-4C Triton, ndlr]. Et, selon Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, sa masse avoisinerait les 10 tonnes, contre « seulement » 4 tonnes pour un Reaper américain, charge utile et armement compris.

Dans son rapport sur la LPM 2019-25, le député Jean-Jacques Bridey, avait prévenu que la demande allemande concernant la double motorisation allait poser un problème de coûts.

Certes, « la décision d’opter pour un design bimoteur constitue […] une concession faite aux autorités allemandes, qui, d’une part, ne devra pas amener la France à renoncer à ses priorités et, d’autre part, devra se traduire à l’avenir par une plus grande souplesse de leur part dans la définition des caractéristiques d’autres projets », avait d’abord estimé l’ancien président de la commission de la Défense.

Mais, avait-il fait remarquer, « compte tenu du poids du moteur dans le coût total d’un appareil, une architecture bimoteur conduira nécessairement à augmenter son coût ». Mais pas seulement celui de l’acquisition des appareils… Car l’intégration de deux moteurs signifie aussi une hausse mécanique des coûts de maintien en condition opérationnelle. « Au-delà, le renchérissement de l’appareil pourrait constituer un frein à l’exportation, et ainsi grever son développement », fit valoir M. Bridey.

Et, effectivement, le prix de l’Eurodrone ne correspond pas à celui qui était attendu par la Direction générale de l’armement [DGA]. La ministre des Armées, Florence Parly, l’avait d’ailleurs souligné en juin dernier, lors du salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget. « Beaucoup a déjà été fait. Mais – et les industriels le savent – je veux leur dire que ce programme ne pourra aller au bout que si le drone qu’ils proposent est compétitif. C’est une question non seulement pour les acheteurs déjà en lice, je veux parler de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie, mais également pour les futurs clients export », avait-elle déclaré.

Seulement, les discussions, qui portent sur le développement, la réalisation des différents systèmes ainsi que le soutien à l’exploitation, peinent toujours à avancer. Elles ont même été récemment qualifiées de « viriles » par Joël Barre, le Délégué général pour l’armement. Et de prévenir, encore une fois, que « nous ne ferons pas le MALE [RPAS] à n’importe quel prix. »

Une négociation trouve généralement une issue rapide quand les exigences des deux parties sont assez proches. Or, ce n’est a priori pas le cas pour l’Eurodrone. Selon le sénateur Cédric Perrin, rapporteur pour avis sur les crédits alloués au programme 146 [Équipement des forces], « l’écart entre le prix attendu par la DGA et le prix proposé par les industriels serait de près de 30 %. »

« Autant dire qu’il y a péril, car le risque est grand, qu’à ce prix-là, les États qui participent au programme n’achètent pas [sans même parler des perspectives d’exportation, qui seraient compromises par un prix trop élevé] », a ainsi estimé M. Perrin, lors d’une réunion de la commission présidée par M. Cambon.

« La tentation pourra alors exister, même pour les pays qui ont participé à ce programme, soit d’acheter un matériel non-européen, soit du moins d’acheter un vecteur sur étagère, pour y greffer une charge nationale. La faisabilité d’une telle solution de repli resterait évidemment encore à expertiser. Mais la question du prix se pose aujourd’hui de façon aigüe. Il reste quelques semaines aux industriels et à la DGA pour se mettre d’accord », a ajouté le sénateur.

Les raisons de cette situation sont connues : ce sont les mêmes que celles qui ont causé les retards et les surcoûts du programme d’avion de transport européen A400M « Atlas ».

Ainsi, M. Perrin a cité le « risque de sur-spécification » qui fait que « si chacun fait sa demande spécifique, qui diffère légèrement ou largement de celle des autres partenaires, on finit par chercher à produire un mouton à cinq pattes », « l’absence de logique industrielle qui conduit d’abord, pour un pays, à réclamer la partie sur laquelle il est le moins compétent, pour chercher à monter en gamme et acquérir une compétence » et « la logique de retour géographique qui consiste à réclamer pour son industrie une part au moins égale à son financement du programme. »

Cela étant, l’écart de prix relatif à l’Eurodrone n’est pas nécessairement lié aux surspécifications étant donné que, a expliqué le rapporteur, « les éléments demandés par les États ont été intégrés depuis 2017, comme par exemple le choix de la double motorisation. » En outre, a-t-il ajouté, il faut « bien penser que le contrat ne porte pas que sur les drones eux-mêmes, mais aussi sur les matériels nécessaires à la formation, en l’espèce des simulateurs, le système de contrôle et même le début du maintien en condition opérationnelle. »

Ensuite, il faut aussi prendre en considération « l’appréciation du risque industriel lié au programme, et la question de savoir qui supporte ce risque, entre les industriels et les Etats clients. »

« La position de l’industrie consiste, semble-t-il, à dire que si c’est elle qui supporte seule le risque du programme, cela s’intègre dans le prix global. La question du prix n’est donc pas qu’une question de coût de production d’un matériel, elle dépend aussi d’appréciation plus subjectives, et bien sûr les analyses peuvent diverger sur ce point », a expliqué M. Perrin.

Quoi qu’il en soit, arriver à un accord sur le prix de l’Eurodrone est essentiel pour les forces françaises – et en particulier pour l’armée de l’Air – étant donné que la LPM repose sur l’idée que, rappelle M. Perrin, « en mutualisant les coûts de développement, d’une part, et en augmentant le nombre d’exemplaires produits du fait des besoins cumulés des différents pays européens participant au programme, on espère obtenir un matériel de meilleur niveau, à un coût moindre ». Qui plus est, le drone MALE européen est appelé à s’intégrer au Système de combat aérien futur [SCAF].

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]