Le chef d’état-major de la Marine nationale aimerait « pouvoir disposer de 35 frégates »

Une fois n’est pas coutume, l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] n’a pas commencé sa récente audition au Sénat par un exposé exhaustif des enjeux budgétaires qui attendent les marins en 2020, comme il l’a fait à l’Assemblée nationale… mais par le récit détaillé de la dernière mission effectuée par la frégate anti-aérienne [FAA] de type 70 « Jean Bart » dans le golfe arabo-persique [GAP].

La raison? Eh bien le cas de ce navire illustre les enjeux auxquels la Marine nationale doit faire face, que ce soit en matière de taux d’engagement opérationnel, d’effectifs, de capacités de menaces, d’obolescence des moyens, etc.

Ainsi, la frégate Jean Bart a été envoyée aux abords du détroit d’Ormuz, région stratégique où plusieurs attaques « assez sophistiquées », dixit l’amiral Prazuck, ont été menées contre des pétroliers avant l’été et où des navires ont été arraisonnés et capturés par les Gardiens de la révolution iraniens.

« Le Jean Bart a donc une mission de sécurité maritime » car « il doit pouvoir accompagner des bâtiments militaires ou civils français qui traversent le détroit, mais aussi de connaissance et d’anticipation », c’est à dire « voir ce qui se passe et être capable de rendre compte, afin de disposer d’une autonomie d’appréciation de situation », a expliqué le CEMM aux sénateurs.

Cette mission a d’abord été assurée par la frégate multimissions [FREMM] Provence, qui a passé un mois de plus en mer étant donné qu’elle devait initialement rallier Toulon avec le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle. Puis la frégate légère furtive [FLF] Surcouf a ensuite pris le relai, avant de céder le terrain au Jean Bart. « Nous avons donc ajusté le programme d’environ cinq cents marins pour remplir cette mission de sécurité maritime et d’appréciation de situation », a souligné l’amiral Prazuck.

S’agissant du Jean Bart, ce dernier a rappelé qu’il est doté d’un système antiaérien et antimissile SM1, censé rester en service jusqu’en 2021 alors que l’US Navy a remplacé les siens en… 2003. Quant à son équipage, il compte 220 marins de 49 spécialités différentes. « Leur moyenne d’âge est de 28,7 ans, le plus jeune marin a 17 ans et le plus âgé, 55 ans », a précisé le CEMM. Seulement, a-t-il ajouté, 7% des postes ne sont pas pourvus, c’est à dire qu’il manque 16 marins. « Cela peut fonctionner sur un équipage de 220, mais ce ne serait pas possible sur une FREMM », a-t-il souligné.

« À ces trous, il faut ajouter des distorsions qualitatives : 7 postes d’experts, normalement détenus par des titulaires d’un brevet de maîtrise, sont occupés par des techniciens supérieurs, qui n’ont pas encore acquis le brevet de maîtrise. De même, deux postes de techniciens supérieurs sont occupés par des opérateurs », a ensuite enchaîné l’amiral Prazuck.

En outre, le Jean Bart totalise « 156 jours d’absence, chiffre bien au-delà de la moyenne », a fait remarqué le CEMM. Le record revient au commissaire du bord, qui a accumulé 256 jours en mer au cours de la dernière année… « Avant d’être sur le Jean Bart, il naviguait sur le Charles de Gaulle », a-t-il précisé.

Un autre aspect développé par l’amiral Prazuck concerne les coopérations internationales. La chaîne de commandement de la frégate est « nationale » car elle est sous les ordres du chef d’état-major des armées à Paris et, localement, sous le contrôle opérationnel de l’amiral commandant la zone maritime de l’Océan Indien [ALINDIEN], basé aux Émirats arabes unis. Mais elle « échange toutefois en permanence avec des bateaux alliés : si un bateau détecte un missile, il le signale sur un réseau de données protégé et partagé avec d’autres forces navales », a-t-il dit. C’est ainsi qu’elle a eu des « interactions » avec la frégate britannique Montrose ainsi qu’avec les navires Canarias [Espagne] et Marceglia [Italie].

Quoi qu’il en soit, le cas du Jean Bart « illustre la tension sur les effectifs, ou la présence d’équipements vieillissants dans la Marine, mais aussi l’importance de partenariats stratégiques comme celui avec les Émirats, et les progrès de la défense européenne avec la coopération avec les Britanniques, les Italiens et les Espagnols », a insisté l’amiral Prazuck.

Cela étant, selon lui, il faudrait « idéalement deux frégates au lieu d’une » afin d’assurer une permanence dans le détroit d’Ormuz. Mais pas seulement…

Déjà, en 2010, l’un des prédécesseurs de l’actuel CEMM, l’amiral Pierre-François Forissier avait mis en garde contre la réduction du nombre de frégates. « Je veux préserver l’épine dorsale de la marine qui est constituée de ses sous-marins nucléaire d’attaque et de ses frégates de premier rang. Je me battrai pour que leur nombre ne soit pas réduit, car nous sommes déjà la limite de la rupture. Á missions inchangées, je ne peux pas aller en deçà », avait-il dit.

Non seulement les missions n’ont pas changées… Mais leur nombre a augmenté. Aussi, l’amiral Prazuck a confié aux sénateurs qu’il aimeriat « pouvoir disposer de 35 frégates ».

« Il faudrait idéalement avoir que une frégate dans le détroit d’Ormuz, une autre dans celui de Bab el-Mandeb, une autre devant la Syrie, une autre encore à proximité de la Libye, en Méditerranée orientale, une en Atlantique nord, tout en assurant l’escorte du Charles de Gaulle et la surveillance des approches maritimes au large de Brest et Toulon… Depuis maintenant plusieurs années, nous devons choisir nos priorités », a-t-il détaillé.

Pour rappel, l’objectif est de doter la Marine nationale de 15 frégates de premier rang à l’horizon 2030.

Cela étant, disposer d’un nombre adéquat de frégates est une chose. Étre en mesure de disposer d’un nombre suffisant de marins pour les armer en est une autre. Et, pour le moment, le compte n’y est pas, comme l’illustre l’exemple du Jean Bart.

« Voilà 20 ans que l’on diminue nos effectifs. Quand je suis entré dans la Marine, il y avait 70.000 marins, dont 10.000 appelés, soit 60.000 engagés. Aujourd’hui, ils sont 40.000! Autrement dit, en quarante ans, nous avons perdu 500 marins en moyenne chaque année », a déploré l’amiral Prazuck.

« Ainsi, tout était organisé pour diminuer nos effectifs : notre réglementation, notre manière de travailler… Cela doit changer. Force est de constater qu’il y a encore une certaine inertie sur ce plan », a-t-il continué.

Or, le métier de marin souffre actuellement d’un manque patent d’attractivité. Au point qu’elle n’a pas été en mesure d’atteindre ses objectifs en matière de recrutement en 2018. « Nous nous sommes mis au poste de combat » pour éviter que cela se reproduise car la Marine nationale ne peut pas se le permettre. Et les mesures mises en place [bourses aux étudiants, recrutements locaux, sourcing, conventions avec l’Éducation nationale, etc] commencent à porter leurs fruits. « Même si nous ne parvenons pas encore à combler le trou de 2018, nous infléchissons la pente », a ainsi relevé l’amiral Prazuck.

Photos : Marine nationale

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