Des études « très poussées » détermineront le mode de propulsion du futur porte-avions de la Marine nationale

Rapporteur pour avis sur les crédits alloués à l’équipement des forces dans le cadre du projet de loi de finances 2020, le député Jean-Charles Larsonneur a récemment indiqué que l’idée de doter la Marine nationale avec deux porte-avions à propulsion classique au lieu d’un seul à propulsion nucléaire pouvait être envisagée.

« Certains observateurs avertis considèrent qu’il n’est pas impensable qu’il faille choisir, in fine, entre l’option nucléaire et l’option à deux nouveaux porte-avions » à propulsion classique, a-t-il en effet écrit dans son dernier rapport.

Et d’expliquer : « L’enjeu du projet de porte-avions de nouvelle génération ne consiste pas à accroître de façon arithmétique les capacités du Charles-de-Gaulle – c’est-à-dire de borner les recherches aux moyens techniques ‘d’aller plus haut, plus vite, plus fort’. La logique présidant à ces études consiste davantage à déterminer les capacités nécessaires pour conduire les missions de guerre envisagées, compte tenu des défenses adverses. »

Lors de son audition au Sénat, l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] a livré quelques détails supplémentaires sur cette question.

Tout d’abord, a-t-il prévenu, il n’est pas exclu que la Marine nationale soit contrainte de mettre en service le porte-avions de nouvelle génération dès 2038 étant donné que le Charles-de-Gaulle « arrivera alors en fin de vie, quarante ans après que ses chaufferies nucléaires auront été mises en fonction ». Il « est possible que l’on soit dans l’obligation technique de le retirer du service actif à cette date », a confié l’amiral Prazuck aux sénateurs.

S’agissant du futur porte-avions, on a quelques certitudes et beaucoup de questions.

Pour la première catégorie, on sait que, en 2038, il y aura toujours des avions Rafale M, dont la masse peut atteindre les 25 tonnes quand il est armé. Et que, celle de version embarquée du NGF [New Generation Fighter], c’est à dire le chasseur-bombardier qui sera au centre du Système de combat aérien du futur [SCAF], sera nettement plus importante, de l’ordre d’une bonne trentaine de tonnes.

Il faudra que ce porte-avions puisse naviguer à la vitesse de 27 noeuds : c’est le minimum requis pour récupérer les avions de guet aérien E-2D Hawkeye qui seront commandés en 2020 auprès des États-Unis afin de remplacer les 3 E-2C NP 2000 de la Flottille 4F.

Autre certitude [du moins, présentée comme telle par l’amiral Prazuck] : le nombre d’aéronefs pouvant être embarqués à bord ce futur porte-avions.

« Actuellement, il y a jusqu’à 30 Rafale sur le Charles de Gaulle. On estime que c’est cohérent aujourd’hui dans tous les scénarios, qu’il s’agisse de mener des frappes massives ou d’exercer le contrôle sur un espace maritime », a avancé le CEMM.

À partir de là, on peut en déduire que le porte-avions de nouvelle génération devrait être nettement plus imposant que les 42.000 tonnes du Charles-de-Gaulle. Dans quelle mesure? On l’ignore pour le moment.

S’agissant des opérations aériennes, le navire devrait être en mesure de mettre en oeuvre des chasseurs-bombardiers, des effecteurs [ou remote-carriers], des hélicoptères, des avions de guet aérien et… des drones. Devra-t-il avoir la capacité de « lancer et de ramasser » en même temps ces aéronefs, afin de permettre plus de flexibilité? Autre question : au regard de l’évolution des menaces, faudra-t-il envisager de muscler ses systèmes de défense?

Quant aux catapultes, il faudra choisir entre celles à vapeur et celles de type électromagnétique [EMALS – Electromagnetic Aircraft Launch System], développées pour la nouvelle classe de porte-avions américains [classe Gerald Ford, ndlr] et auxquelles la marine chinoise s’intéresse de très près.

Sur ce point, la préférence de l’amiral Prazuck semble aller nettement vers les secondes, même si elles sont gourmandes en énergie. « Il existe aujourd’hui des catapultes électromagnétiques, d’ores et déjà utilisées par les porte-avions américains et en passe de l’être par les porte-avions chinois. Ces catapultes, qui mesurent 90 mètres de long, permettent de catapulter des avions très lourds, d’une trentaine de tonnes, en n’éprouvant pas trop leur structure, mais aussi des objets beaucoup plus petits, comme des drones », a-t-il expliqué.

Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, l’industrie française n’a pas le savoir-faire nécessaire pour fabriquer de telles catapultes.  » Nous pourrions développer notre propre filière de catapulte à vapeur. C’est surtout un choix d’investissement et du lien que l’on veut avoir avec les États-Unis », a cependant estimé Olivier de Saint-Julien, directeur du programme « Porte-avions de nouvelle génération » chez Naval Group, dans les colonnes de Science&Vie, en juin dernier.

Quant au mode de propulsion, la question est donc encore ouverte. « Avec quelle source d’énergie faire avancer un tel bateau? Des études très poussées sont conduites sur le choix du type de propulsion, nucléaire ou classique », a confirmé l’amiral Prazuck.

« On sait que l’énergie classique permet de faire naviguer très rapidement les grands paquebots d’aujourd’hui, ceux qui transportent 4.000 passagers, alors qu’ils pèsent 100.000 tonnes », a relevé le CEMM.

Mais la propulsion classique ne concerne pas les navires de croisière : les deux porte-avions britanniques de la classe Queen Elizabeth font mouvoir chacun leurs 65.000 tonnes avec deux turbine à gaz Rolls Royce Marine Trent MT30 et quatre générateurs Diesel Wätsilä. Ce qui leur donne une puissance de 80 MW [108.000 ch]. Cependant, ils ne sont pas dotés de catapultes et leur vitesse maximale n’est de que 25 noeuds.

Dans le même temps, l’amiral Prazuck a aussi fait valoir que la « propulsion nucléaire présente par ailleurs des avantages indéniables en termes d’emploi et d’autonomie. »

C’est d’ailleurs l’idée défendue par l’amiral Édouard Guillaud, ancien chef d’état-major des armées [CEMA], dans une note publiée par la Fondation pour la recherche stratégique [FRS]. Étant à propulsion nucléaire, le porte-avions Charles de Gaulle est ainsi libéré des contraintes […] du ravitaillement à la mer tous les deux à trois jours. Celles-ci imposaient à chaque fois à ses prédécesseurs conventionnels une interruption de l’activité aérienne pendant plusieurs heures ainsi qu’une route de ravitaillement déterminée par les conditions météo du moment, ce qui était un renseignement de choix pour un adversaire potentiel », a-t-il écrit.

Mais il n’en reste pas moins qu’il faudra toujours ravitailler les autres navires du groupe aéronaval… et alimenter le porte-avions en carburant aéronautique…

Quoi qu’il en soit, si la propulsion nucléaire est retenue, il faudra développer de nouvelles chaudières, beaucoup plus puissantes que les deux de type K-15 qui équipent actuellement le porte-avions Charles de Gaulle. Les besoins exprimés devraient atteindre une puissance de 220 à 230 mégawatts, estime-t-on à la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

« Il nous faut prendre en compte l’enjeu de la pérennisation de notre savoir-faire en matière de propulsion navale nucléaire, de manière à pouvoir concevoir une nouvelle chaufferie et la réaliser », a ainsi souligné l’amiral Prazuck. Et c’est « autant de questions que nous devons nous poser pour avoir une vision éclairée du dossier et une idée du coût », a-t-il conclu.

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