Otan/Turquie : Pour M. Le Drian, il va « falloir réfléchir à la relation transatlantique »

Lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des forces armées, le 15 octobre [le compte-rendu vient d’en être publié, ndlr], le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a sévèrement critiqué les décisions de l’administration Trump au sujet du nord de la Syrie, lesquelles ont ouvert la voie à une offensive turque contre les milices kurdes syriennes [YPG], pourtant partenaires de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis.

Depuis cette audition, la situation a évolué : la Turquie a suspendu ses opérations, menées avec l’appui de supplétifs syriens, et elle a trouvé un accord avec la Russie pour s’assurer du contrôle de la zone frontalière située dans le nord-est de la Syrie.

Reste que, pour M. Le Drian, la décision de M. Trump de retirer les forces américaines de cette région et donc de « lâcher » les Kurdes syriens ne peut que faciliter, « in fine une victoire des parrains d’Astana : Turcs, Russes et Iraniens », lesquels seront désormais « amenés à se partager le Nord-Est » de la Syrie. « C’est évidemment un tournant majeur dans le conflit syrien, et il conviendra d’en apprécier les conséquences, y compris sur le plan politique », a relevé le ministre français.

Justement, au niveau politique, l’attitude de M. Trump a fait des dégâts… D’abord au sein de la coalition anti-jihadiste, dont les membres n’ont pas été préalablement informés des intentions du chef de la Maison Blanche, ce qui les a mis devant le fait accompli.

« Il y a une trentaine de pays acteurs principaux de cette coalition. Deux pays ont semé le trouble dans la solidarité de cette coalition : il nous faut en tirer des conclusions ensemble », a dit M. Le Drian. Et là, a-t-il continué, il n’y a que deux possibilités : « soit la coalition est morte, soit elle se reprend ». Et « si le combat commun contre Daesh continue », alors il faudra en définir les modalités, a-t-il fait observer.

Par ailleurs, M. Le Drian a posé la question du « lien transatlantique », en rappelant qu’il a « vécu dans des fonctions différentes, deux renoncements américains, le 31 août 2013 et le 13 octobre 2019 ».

Pour rappel, le premier évoqué par le ministre est la reculade du président Obama dans l’affaire de l’attaque chimique attribuée au régime syrien dans la Ghouta Orientale. Alors que l’une des lignes rouges qu’il avait définies venait d’être franchie par Damas et qu’une opération militaire, avec la France, était sur le point d’être lancée, il avait renoncé au dernier moment.

Quoi qu’il en soit, pour M. Le Drian, « à deux reprises, les Américains ont renoncé à assurer la sécurité collective ». Et « cela pose la question du lien transatlantique », a-t-il dit aux sénateurs. En outre, et s’agissant du nord de la Syrie, il a déploré le « revirement soudain » des États-Unis, lesquels avaient pourtant donné « des assurances » à leurs partenaires européens.

« Les États-Unis adressent des signaux contradictoires. Á l’inaction après l’attaque des raffineries de l’ARAMCO a suivi la décision d’envoyer 3.000 soldats américains en Arabie saoudite », a relevé M. Le Drian. Et, a-t-il insisté de nouveau, il « est certain qu’il va falloir réfléchir à la relation transatlantique. »

Ces propos du ministre font écho à ceux que tiendra le président Macron quelques jours après cette audition.

« J’ai compris qu’une puissance de l’Otan décidait d’attaquer ceux qui ont été les partenaires de la coalition internationale sur le terrain pour se battre contre Daesh. […] Donc, je considère que ce qu’il s’est passé depuis plusieurs jours est une faute lourde de l’Occident et de l’Otan dans la région. […] Je pense que cela affaiblit durablement notre crédibilité pour trouver des partenaires sur le terrain […] et que ça interroge aussi le fonctionnement de l’Otan », dira-t-il à l’issue d’un conseil européen, le 18 octobre.

Quoi qu’il en soit, les derniers développement mettent à mal la solidarité [politique] entre les membres de l’Otan. Solidarité que le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, cherche à maintenir à tout prix. Et le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, Christian Cambon, a livré une anedoctes qui en dit long, lors de l’audition de M. Le Drian.

« L’Europe est donc en décalage avec les États-Unis et la Turquie. Hier, j’assistais avec quelques collègues à la réunion de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à Londres. Les propos du secrétaire général de l’OTAN étaient scandaleusement sidérants. Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… Comment tolérer cette situation ? Les Turcs risquent de mettre à mal l’OTAN. Certains ont préféré parler du développement du plancton dans la mer Méditerranée orientale… C’était certainement plus important! », a raconté M. Cambon.

Cela étant, la Méditerranée orientale sera sans doute le prochain sujet brûlant, avec les actions entreprises par la Turquie dans la zone économique exclusive [ZEE] de la République de Chypre pour y exploiter les gisements de gaz naturel.

« Les Turcs ont engagé une action de forage dans les eaux sous souveraineté chypriote. Nous avons décidé de mettre en place un régime-cadre de sanctions si, d’aventure, la Turquie poursuivait ces opérations. Nous allons prévoir une présence militaire dans cette zone », a prévenu M. Le Drian.

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