L’offensive turque contre les milices kurdes syriennes serait imminente

Après avoir annoncé qu’il comptait donner le champ libre à la Turquie pour lancer une opération militaire dans le nord de la Syrie contre les milices kurdes syriennes [YPG] que la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis a soutenues contre l’État islamique [EI ou Daesh], le président Trump a fait une déclaration surprenante.

« Le Royaume-Uni est ravi de cette décision. Comme vous le savez, ils ont aussi des soldats là-bas [des forces spéciales, ndlr]. Beaucoup de gens sont d’accord [avec cette décision] », a en effet affirmé M. Trump, avant d’assurer qu’il avait « consulté tout le monde », avant de faire son annonce, le 7 octobre.

Sauf, apparemment, les principaux responsables de son camp politique, dont il aura besoin pour faire face à la procédure de destitution engagée par le Parti démocrate pour une affaire en lien avec l’Ukraine. « L’abandon des Kurdes sera une tache sur l’honneur de l’Amérique », a ainsi réagi l’influent sénateur républicain Lindsey Graham.

Quant au gouvernement britannique, il ne s’est pas dit « ravi » de la décision de M. Trump [enfin, de celle annoncée le 7 octobre, ndlr] puisqu’il a fait part, le 8 octobre, de sa « profonde préoccupation » face à l’éventualité d’une intervention militaire turque contre les milices kurdes syriennes.

« Le Royaume-Uni a toujours été clair avec la Turquie sur le fait qu’une action militaire unilatérale devait être évitée car cela déstabiliserait la région et menacerait les efforts entrepris pour pérenniser la défaite » de Daesh, a en effet déclaré le porte-parole de Boris Johnson, le Premier ministre britannique. Et de préciser que Londres avait « informé clairement les États-Unis de cette position ».

Une position que partage la France, qui a également des forces spéciales sur place. Et le Premier ministre, Édouard Philippe, a d’ailleurs opposé la « cohérence » de la politique française à l’égard des Forces démocratiques syriennes [FDS, dont font partie les milices kurdes syriennes, ndlr] aux « hésitations manifestes de certains acteurs, notamment de nos amis américains. » Et en particulier celles de M. Trump.

Suite au tollé déclenché par sa décision initiale, ce dernier a donné des signaux contradictoires. « Si la Turquie fait quoi que ce soit que j’estime, dans ma grande et inégalable sagesse, dépasser les bornes, je détruirai et anéantirai complètement l’économie de la Turquie », a lancé M. Trump, le 7 octobre au soir. Puis, ayant auparavant déclaré qu’il voulait laisser les Kurdes syriens se débrouiller, il a assuré le contraire.

« Nous sommes en train de quitter la Syrie mais nous n’avons absolument pas abandonné les Kurdes qui sont des gens formidables et de merveilleux combattants. […] Nous aidons les Kurdes financièrement [et en leur fournissant des] armes », a affirmé M. Trump, via Twitter, le 8 octobre. Et de souligner dans le même temps que la Turquie est un « partenaire commercial important » des États-Unis. C’est à en perdre son latin…

Quoi qu’il en soit, les atermoiements de M. Trump n’ont en rien entamé la détermination de son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui sera par ailleurs reçu à la Maison Blanche en novembre prochain.

Pendant que le président américain « twittait », la Turquie a indiqué qu’elle était prête à lancer sa trosième offensive en Syrie [après « Bouclier de l’Euphrate » et « Rameau d’olivier]. « Tous les préparatifs en vue d’une opération ont été achevés », a en effet assuré le ministère turc de la Défense. Et des mouvements de véhicules blindés ont été signalés à proximité de la frontière.

Pour rappel, Ankara considère les YPG comme terroristes, en raison de leur proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], une organisation independantiste kurde à l’origine d’une guérilla meutrière en Turquie. Aussi, il lui est impensable pour le que les Kurdes syriens puissent disposer d’un territoire jouxtant son territoire. D’où son objectif d’instaurer une zone de sécurité, longue de 120 km et profonde de 30 km, allant des villes de Tal Abyad à Ras al-Aïn, pour ensuite y installer des réfugiés syriens actuellement sur son sol.

« La Turquie n’est pas un pays à agir sous la menace » et elle « rappellera à l’ordre les organisations terroristes qui menacent ses frontières sud et dans le même temps donnera l’occasion aux réfugiés syriens qui se trouvent sur son sol de retourner, de manière volontaire, dans leur pays », a prévenu Fuat Oktay, le vice-président turc. Et d’ajouter : « La Turquie est un pays assez puissant pour déterminer sa voie et agir d’elle-même. »

Cela étant, un responsable de la diplomatie américaine a rappelé que l’espace aérien au-dessus de la zone où la Turquie envisage de lancer son opération était sous le contrôle de la coalition… Et qu’il serait fermé à l’aviation turque. « Nous n’avons pas l’intention de changer cela dans un proche avenir », a-t-il dit.

Reste que, pour les Kurdes syriens, l’annonce faite par la Maison Blanche le 7 octobre a été perçue comme un « coup de poignard dans le dos ».

« Si l’Amérique évacue la zone et particulièrement la zone frontalière, nous serons contraints, en tant qu’administration autonome et en tant que FDS, d’étudier toutes les options disponibles », a prévenu Badran Jia Kurd, un haut responsable kurde syrien. « Nous pourrions discuter avec Damas ou la partie russe pour combler ce vide ou bloquer l’attaque turque. Cela pourrait donc évoluer et il pourrait y avoir des réunions et des contacts en cas de vide sécuritaire », a-t-il ajouté.

Après avoir qualifié de « traîtres » les combattants kurdes syriens soutenus par la coalition anti-jihadiste contre l’EI, le gouvernement syrien semble être revenu à de meilleurs sentiments puisqu’il les a appelés à revenir dans son giron.

« Nous défendrons l’ensemble du territoire syrien et nous n’accepterons aucune occupation » étrangère, a en effet affirmé Fayçal Mekdad, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères. « Celui qui se jette dans les bras de l’étranger, l’étranger finit par le jeter […] et c’est ce qui s’est passé », a-t-il ajouté.

À noter que l’Iran, soutien de Damas, a fait part de son opposition à une « action militaire » turque dans le nord de la Syrie. Même chose pour la Russie, qui a appelé à ne pas « saper le règlement pacifique » du conflit syrien.

En attendant le déclenchement de l’offensive turque, qui s’annonce inéluctable, le commandement des Forces démocratiques syrienne ont prévenu qu’une « catastrophe humanitaire » était aussi imminente. « Cette attaque fera couler le sang de milliers de civils innocents car nos zones frontalières sont surpeuplées. En conséquence, nous appelons […] tous les pays de la coalition internationale anti-EI à s’acquitter de leurs reponsabilités pour éviter un éventuel désastre humanitaire », a-t-il fait savoir.

« Les menaces d’Erdogan visent à transformer le mécanisme de sécurité en mécanisme de mort, à déplacer notre peuple et à transformer une région stable et sûre en zone de conflit et de guerre permanente. Nous sommes déterminés à défendre notre terre à tout prix », avait auparavant prévenu l’état-major des FDS.

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