En quoi la France est-elle concernée par les menaces lancées aux Émirats arabes unis par les rebelles yéménites?

Sans attendre les conclusions des enquêteurs internationaux et des Nations unies qu’elle a sollicités, il ne fait aucun doute pour l’Arabie Saoudite que l’Iran est impliqué dans les deux attaques qui, le 14 septembre, ont visé l’usine de traitement d’Abqaiq et le champ pétrolier de Khurais.

« L’attaque a été lancée depuis le nord et était sans aucun doute parrainée par l’Iran », a en effet affirmé, le colonel saoudien Turki al-Maliki, lors d’une conférence de presse donnée le 18 septembre. Selon lui, 18 drones à « aile delta » et 7 missiles de croisière de type « Ya Ali » ont été utilisés pour frapper l’industrie pétrolière du pays.

Sur ces sept missiles, trois n’auraient pas réussi à atteindre leurs cibles. La nature de ces engins reste à préciser, dans la mesure où, selon l’examen de photographies diffusées via les réseaux sociaux, il pourrait s’agir de missiles Quds-1, mis au point par les rebelles Houthis, au Yémen, lesquels ont revendiqué les deux attaques. Quoi qu’il en soit, a assuré le colonel al-Maliki, leur portée étant de 700 km, il est exclu qu’ils puissent avoir été lancés depuis le territoire yéménite pour frapper les sites d’Abqaiq et de Khurais.

« C’est le type d’arme que le régime iranien et les Gardiens de la révolution [IRGC] utilisent contre les insfrastructures et les installations civiles », a souligné l’officier saoudien. « Cette attaque ne vient pas du Yémen, malgré tous les efforts de l’Iran pour le faire paraître ainsi », a-t-il insisté.

Cependant, le colonel al-Maliki s’est gardé de préciser si ces missiles et ces drones avaient été lancés depuis l’Iran, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences. D’autant plus que le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a qualifié les attaques contre le secteur pétrolier saoudien « d’actes de guerre ». Cela étant, Riyad est devant un dilemne : riposter à ces attaques pourrait ouvrir la boîte de Pandore… Et ne pas y répondre expose le royaume à d’autres attaques.

Les accusations de l’officier saoudien à l’endroit de l’Iran ne font que reprendre celles déjà portées par plusieurs responsables américains, lesquels ont estimé « fortement probable » que les missiles et les drones ayant servi aux attaques aient été lancés depuis une base iranienne, située au nord du Golfe arabo-persique.

Et ce 19 septembre, CBS News, qui cite, là encore, des responsables américains, a précisé que les attaques auraient été approuvées par l’ayatollah Ali Khamenei et lancées depuis la base aérienne d’Ahvaz, située dans le sud-ouest de l’Iran. Des photos satellites « inédites », montrant des Gardiens de la révolution en pleins préparatifs, appuieraient cette accusation.

Ces « photos satellites n’ont servi à rien pour empêcher l’attaque, leur signification n’ayant été comprise qu’après-coup. Nous avons été pris complètement au dépourvu », a expliqué ce responsable.

De son côté, l’Iran a passé la journée du 18 septembre à nier sa responsabilité dans ces attaques. Ainsi, selon le président iranien Hassan Rohani, les rebelles Houthis ont visé l’industrie pétrolière saoudienne afin de donner un « avertissement » à Riyad. Et d’ajouter : « Tirez les leçons de cet avertissement et considérez qu’il pourrait y avoir une guerre dans toute la région. »

Pour autant, M. Rohani a assuré que Téhéran ne « veut pas de conflit dans la région. » Mais « qui a commencé le conflit? Pas les yéménites. Ce sont l’Arabie saoudite, les Emirats, l’Amérique, certains pays européens et le régime sioniste [Israël] qui ont commencé la guerre dans cette région », a-t-il dit.

Puis, l’Iran a également adressé une « note officielle » aux États-Unis, par l’intermédiaire de la Suisse. Et cela pour insister « sur le fait qu’il n’a joué aucun rôle dans les attaques » et « mettre en garde les responsables américains » contre toute action qui le viserait car Téhéran y opposerait, le cas échéant, une « réponse immédiate d’une portée bien plus grande qu’une simple menace. »

Puis, les rebelles Houthis ont menacé de s’en prendre aux Émirats arabes unis, dont le territoire est encore plus éloigné des positions qu’ils occupent au Yémen. « Nous annonçons […] que nous avons des dizaines de cibles aux Emirats arabes unis, dont Abou Dhabi et Dubaï, et qu’elles peuvent être ciblées à tout moment », a en effet déclaré Yahiya Saree, leur porte-parole. « Si vous voulez la paix et la sécurité pour vos installations et pour vos tours de verre qui ne peuvent résister à un drone, alors laissez le Yémen tranquille », a-t-il ajouté. Et d’insister : « Au régime émirati, nous disons qu’une seule opération [des Houthis] vous coûtera cher »

Pour rappel, les Émirats arabes unis interviennent au Yémen, dans le cadre d’une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite. Mais depuis quelques semaines, cette dernière se fissure, Abu Dhabi étant accusé par le président Abd Rabbo Mansour Hadi, contesté par les Houthis, de soutenir les séparatistes yéménites à Aden.

En outre, les Émirats arabes unis ont été en première ligne quand plusieurs pétroliers ont été « sabotés » au large de leurs côtes, dans à proximité du détroit d’Ormuz. Pour autant, et alors que ces actes ont été attribués aux Gardiens de la révolution par les États-Unis et l’Arabie Saoudite, Abou Dhabi a joué la carte de l’apaisement avec Téhéran, après avoir annoncé, en juillet, le retrait d’une partie de ses forces alors engagées au Yémen.

Cela étant, une attaque contre les Émirats arabes unis est susceptible d’intéresser la France. Au delà la présence militaire française dans le pays [base 104 d’al-Dhafra, 5e régiment de cuirassiers], Paris et Abu Dhabi sont liées par un accord de défense signé en mai 2009.

« Le Gouvernement de la République française s’engage à participer à la défense de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’État des Émirats arabes unis » et « à déployer les moyens et dispositifs définis en commun de nature à dissuader tout État qui tenterait de menacer la sécurité, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’État des Émirats arabes unis », précise l’article 4 de cet accord.

« Lorsque survient une menace contre la sécurité, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’État des Émirats arabes unis, les Parties établissent immédiatement des contacts concernant tous les aspects de cette menace en vue de la mise en œuvre de mesures et d’actions qu’elles jugent appropriées pour l’écarter », est-il ajouté dans ce texte.

Enfin, toujours selon cet article, la France s’engage « à participer par ses forces armées, en application de décisions prises en commun, à la défense de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance » des Émirats afin de « dissuader et repousser toute agression qui serait menée par un ou plusieurs États. »

Comme on le voit, cet accord de défense évoque la possible agression d’un « État »… Ce qui, théoriquement, exclut du champ de ce texte toute attaque lancée par une organisation non-étatique comme peut l’être la rébellion houthis…. sauf s’il est manifeste que cette dernière est parrainée par l’Iran.

Par ailleurs, cela vaut aussi pour le Koweït, avec lequel la France a également noué un accord de défense. « Sur la base des décisions prises en commun, la Partie française s’engage à mettre en œuvre les moyens militaires appropriés aux fins de faire face à toute menace ou agression extérieures dirigée contre la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale de l’État du Koweït », indique-t-il.

Or, cet émirat est également concerné par les attaques ayant visé l’industrie pétrolière saoudienne, étant donné qu’au moins un des missiles [ou drones] aurait survolé une partie de son territoire. Ce qui a d’ailleurs motivé l’ouverture d’une enquête. Membre de l’Alliance militaire islamique lancée par l’Arabie Saoudite, le Koweït n’a pour le moment pas été menacé par les rebelles Houthis. Toutefois, ses forces armées ont reçu l’ordre de renforcer leur « préparation au combat », au regard des tensions actuelles.

« Face à l’escalade de la situation dans le pays, l’état-major général de l’armée (du Koweït) annonce renforcer la préparation au combat de certaines de ses unités », a en effet indiqué l’émirat. « L’armée mène des exercices navals et aériens pour atteindre le plus haut niveau de préparation et d’efficacité au combat », a-t-il ajouté.

Photo : Rafale français et Mirage 2000-9 émiratis lors de l’exercice Gulf 2016 (c) WAM

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