Spécialiste français de la vision nocturne, Photonis pourrait passer sous pavillon étranger

En juin 2015, l’entreprise de haute technologie Photonis reçevait le prix « Ingénieur général Chanson », décerné chaque année par l’Association de l’Armement Terrestre [AAT] pour avoir mis au point la CMOS Kameleon, une caméra permettant de filmer en couleur pendant la nuit. De quoi donner un avantage par rapport aux forces dotées de systèmes infrarouge et thermique, lesquels ne prennent que des images monochromes, ce qui n’est pas idéal pour repérer des détails pouvant être déterminants lors d’une opération.

L’un des soucis de la caméra CMOS Kameleon était alors ses besoins importants en énergie, ce qui pouvait être aisément contourné en l’installant sur un blindé, par exemple. Seule entreprise à détenir cette technologie, Photonis a en outre développé dans d’aures secteurs, comme l’intensification d’images numériques, l’instrumentation nucléaire, ou encore les tubes de puissance pour les systèmes de communication militaires.

« Ses produits sont présents dans le laser Mégajoule [utilisé par le programme « simulation » mené pour la dissuasion nucléaire, ndlr], à bord des sous-marins nucléaires ou dans des satellites », rappelait le quotidien Sud-Ouest, en décembre 2016.

Mais les innovations de Photonis n’intéressent pas seulement le domaine de la défense. Ainsi, la technologie de la CMOS Kameleon peut avoir des applications dans la médecine ou bien encore dans l’industrie, notamment pour le systèmes de contrôle de qualité. D’où, d’ailleurs, le fait qu’elle ait bénéficié d’un financement via le dispositif RAPID [Régime d’appui à l’innovation duale], qui soutient les projets pouvant avoir un intérêt tant civil que militaire.

Actuellement, Photonis est contrôlé par la société d’investissement français Ardian, qui dispose de plus de 80 milliards de dollars d’actifs [et 150 entreprises dans son portefeuille] et qui, en mars, a levé 6,1 milliards d’euros pour son fonds Ardian Infrastructure Fund V.

Or, d’après le site spécialisé Wansquare, Ardian a mandaté la banque Lazard Frères pour trouver un acheteur de l’entreprise Photonis, qui a pourtant doublé ses performances financières en 2018 grâce à la « croissance du marché de la vision nocturne » ainsi qu’à la mise en oeuvre du plan de transformation de « One Photonis », lequel s’est traduit par une réduction d’effectifs sur son site briviste. En outre, elle a également annoncé, en juillet, le refinancement de sa dette, avec des facilités de crédit à la clé.

Cette information a plus tard été confirmée par La Tribune, qui a précisé que Photonis « intéresserait déjà des entreprises américaines ainsi que des fonds d’investissements internationaux. » Pour le moment, aucun repreneur français n’a fait connaître un quelconque intérêt pour cette entreprise… qui pourrait par conséquent bien passer sous pavillon étranger.

« C’est d’ailleurs aux Etats-Unis que se trouvent les principaux concurrents de Photonis », a relevé, de son côté, le quoditien La Montagne, qui a par ailleurs indiqué que les salariés de l’entreprise ont appris ce projet de revente par… la presse. Et le journal rappelle que ces derniers s’attendaient à ce scénario, après l’annonce de la suppression de 50 emplois à Brive.

« Nous sommes soumis à un montage LBO, c’est-à-dire qu’Ardian, le fonds d’investissements d’Axa, a emprunté de l’argent pour acheter le groupe en 2010-2011 et rembourse grâce au travail des salariés. Maintenant, il prépare la revente afin de faire des bénéfices », avait prédit Michèle Geneste, secrétaire du comité d’entreprise et représentante Force ouvrière.

Quoi qu’il en soit, le ministère des Armées devrait probablement regarder cette affaire de très près. D’autant plus que la Revue stratégique, publiée en octobre 2017, estimait que les « capteurs » [sonar, optique, radars, etc] devaient rester « souverains ».

Mais cela n’a nullement empêché le fonds d’investissement américain Carlyle Group de mettre la main, en 2018, sur la PME française HGH, spécialiste des technologies infrarouge pour les secteurs de la surveillance, de la sécurité, de la défense, du pétrole et de l’énergie.

Photo : Photonis

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