La Russie propose de vendre à l’Inde 6 sous-marins via un contrat de gré à gré

Si l’avenir de la force aérienne indienne [IAF, Indian Air Force] donne lieu à des rumeurs qui ne sont pas toujours fondées, il en va de même pour celui de l’Indian Navy, en particulier pour ce qui concerne les sous-marins.

Ainsi, en juin dernier, le quotidien Business Standard a affirmé que la marine indienne avait constaté une « série de problèmes » à bord de l’INS Khanderi, c’est à dire le second des six sous-marins de type Scorpène construit slocalement dans le cadre du contrat Project-75, confié en 2006 au français Naval Group [DCNS à l’époque, ndlr]. Le journal avait alors expliqué qu’il émettait un « niveau de bruit trop élevé » alors que la discrétion acoustique doit être le point fort d’un tel bâtiment. Et d’avancer que 35 autres « défauts » avaient été trouvés et qu’il faudrait au moins un an de plus pour les corriger.

Une telle information pouvait sembler d’autant plus curieuse que le premier sous-marin de type Scorpène mis en service en décembre 2017, l’INS Kalvari donnait alors pleinement satisfaction à l’Indian Navy. Quelques jours plus tard, le site spécialisté Mer&Marine, citant une source de Naval Group, a réfuté les affirmations du Business Standard.

« La réalité, c’est qu’il y a des problèmes habituels qui font partie de la mise au point, ce sont des choses fréquentes et il n’y a rien qui ne puisse être résolu rapidement. Les Scorpène sont des sous-marins extrêmement silencieux, ils sont réputés pour cela et c’est pour cette raison que nous en vendons », a ainsi assuré cette source. Et, à Paris, a continué Mer&Marine, on « dit ne pas comprendre l’origine d’un article comprenant de telles ‘erreurs factuelles et exagérations ».

En tout cas, le papier du Business Standard a également été démenti par un autre journal indien, le Financial Express. En effet, ce dernier a affirmé que l’INS Kandheri serait officiellement mis en service à la fin de ce mois, en présence du ministre indien de la Défense, Rajnath Singh. Ce sous-marin, qui « a mené à bien tous les essais de réception nécessaire », fera partie du « commandement naval occidental de Bombay », a-t-il précisé.

Ces rumeurs, malveillantes, sont sans doute liées au projet P75(I), que New Delhi a confirmé au début de cette année afin de doter l’Indian Navy de six sous-marins à propulsion classique supplémentaires.

Pour l’Inde, il est impératif de moderniser et d’étoffer sa flotte sous-marine afin de faire face aux menaces pakistanaises et chinoises ainsi que pour accompagner la montée en puissance de la composante océanique de sa dissuasion nucléaire. Cette dernière repose actuellement sur le sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] INS Arihant. En outre, elle a loué auprès de la Russie un sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] de type Akula. La location d’un second bâtiment serait dans les tuyaux.

Les sous-marins du projet P75(i) devraient être plus imposants que les Scorpène, dotés chacun d’un système de propulsion anaérobie [AIP] et capables d’emporter des missiles de croisière ainsi que des missiles anti-navire. Quatre industriels sont concernés par l’appel d’offres relatif à ce programme, dont Naval Group, le suèdois Kockums, l’allemand ThyssenKrupp Marine Systems [TKMS] et le russe Rosoboronexport, pour le bureau d’étude MT Rubin.

Seulement, Moscou se verrait bien griller la politesse à tout le monde. D’où le coup de poker tenté par le Kremlin. La semaine passée, l’Inde et la Russie ont dit vouloir donner une « nouvelle impulsion » à leurs liens économiques, lors d’une rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et le Premier ministre indien, Narendra Modi, dans le cadre du Forum économique de l’Est, qui s’est tenu à Vladivostok.

Il a ainsi été question de coopérations dans les domaines de l’aviation civil, de l’espace, de l’exploitation minière, des hydrocarbures ou encore du tourisme. La création d’une zone de libre échange a été évoquée, alors que les échanges commerciaux entre l’Inde et la Russie sont tombés à 11 milliards de dollars en 2018. L’objectif est de tripler ce montant d’ici 2025.

En matière de défense, les deux pays se sont engagés à « renforcer leur coopération », notamment en « favorisant le développement et la production en commun d’équipements, de composants et de pièces de rechange militaires. »

Si aucune autre annonce n’a été faite, Dmitri Shugayev, le chef du Service fédéral russe de la coopération militaire et technique a indiqué, à l’agence Tass, que Moscou avait proposé à New Delhi de construire six sous-marins dans le cadre d’un contrat de gré à gré, c’est à dire en dehors de l’appel d’offres P75(i). En clair, il s’agit de « court-circuiter » la procédure en cours.

« Nous discutons avec eux [les Indiens] de leur projet de produire six sous-marins doté d’un système de propulsion anaérobie. Initialement, ils ont lancé un appel à candidatures mais nous leur avons proposé des conditions exclusives et voulons les convaincre de le faire sur la base d’un accord intergouvernemental », a expliqué M. Shugayev, qui a fait valoir qu’une telle solution présenterait le double avantage d’être moins coûteuse tout en permettant à l’industrie navale indienne d’acquérir de nouvelles compétences.

Jusqu’alors, la Russie proposait à l’Inde le sous-marin de classe « Amour » [Projekt 677 Lada], pourtant dépourvu de système de propulsion anaérobie et dont la mise au point s’est avérée laborieuse. Cependant, il est en mesure de lancer des missiles de croisière russo-indiens Brahmos, voire des Kalibr PL [ou Club-S], ainsi que des missiles anti-navire.

Mais il n’est pas clair si l’offre évoquée par le responsable russe repose sur les sous-marin de type Lada ou s’il s’agit de développer un navire conforme aux besoins indiens.

Selon le quotidien indien The Hindu, qui cite une source russe, la proposition de Moscou comprendrait la « conception et le développement en commun d’un sous-marin conventionnel à propulsion anaérobie via un accord intergouvernemental donnant un accès complet à la technologie et aux droits de propriété intellectuelle ».

Cette tactique à la hussarde a-t-elle des chances d’aller jusqu’au bout? En réalité, tout est question de volonté politique. La France a tenté la même chose en Belgique, en proposant le Rafale dans le cadre d’un accord stratégique… Mais ce coup de poker a été perdu, faute d’avoir les bonnes cartes.

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