Le président Macron plaide pour une « diplomatie de l’audace » et veut « repenser » le lien avec la Russie

« On ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif », dit le proverbe. Et à plus forte raison un ours. Mais rien n’empêche d’essayer et de mettre ça sur le compte de l’audace… Car après tout, pour rester dans le registre des expressions populaires, la fortune sourit à ceux qui savent en faire preuve [de l’audace]… En tout cas, c’est ce qu’a demandé le président Macron aux diplomates, ce 27 août, à l’occasion de l’édition 2019 de la Conférence des ambassadeurs. Et, à l’en croire, il n’y a pas d’autres voies possibles.

En effet, selon le diagnostic posé par M. Macron, un risque pèse sur la France, voire plus largement sur l’Europe : celui de ne plus peser sur les affaires du monde. Et cela pour quatre raisons.

Ainsi, la « recomposition géopolitique et stratégique » en cours sonne, selon lui, le glas de « l’hégémonie occidentale », incarnée au XVIIIe siècle par la France, puis par le Royaume-Uni grâce à la révolution industrielle et ensuite par les États-Unis. Il émerge donc de nouvelles puissances [qui ne sont pas aussi nouvelles que ça si on pense, par exemple, à la Chine] qui viennent bousculer le jeu.

Dans le même temps, cette tendance s’accompagne, selon M. Macron, d’un « ensauvagement du monde », avec des conflits « plus meurtriers » pour les civils [ce qui n’est, hélas, pas nouveau] et la fin de traités de désarmement dans « l’innocence et le silence ». Une autre raison avancée par le chef de l’Élysée est la « crise de l’économie de marché » qui, de plus en plus « financiarisée », concentre les richesses entre les mêmes mains et accroît, par conséquent, les inégalités, lesquelles, a-t-il souligné, ne sont « plus supportables ». D’où, selon lui, la nécessité de « reprendre le contrôle » dans la mondialisation…

La révolution technologique en cours, induit un changement « anthropologique profond » [dixit M. Macron] et conduit à des déséquilibres économiques. Qui plus est, certains États n’hésitent pas à utiliser ces nouvelles technologies pour en déstabiliser d’autres, a relevé le président français. Enfin, un autre facteur à prendre en considération est le « grand bouleversement écologique », étant donné que le « dérèglement climatique » conduit à de « vraies crises géopolitiques » [phénomènes migratoires, conflits pour les ressources, etc, ndlr].

Face à ces évolutions, faire comme avant et ne rien changer aux habitudes n’est pas une solution pour M. Macron. Pas plus que ne pourrait l’être la « stratégie de l’adaptation », laquelle produirait le même résultat. Aussi a-t-il plaidé pour une « stratégie de l’audace et de la prise de risque. »

« Tout ce que nous sommes en train de faire et tout ce que nous ferons ne réussira peut-être pas, et il y aura des commentateurs pour dire que ça ne réussit pas : ceci n’est pas grave, ce qui est aujourd’hui mortel c’est de ne pas essayer », a fait valoir Emmanuel Macron, en expliquant qu’il fallait « de peser avec les cartes qui sont les nôtres. »

Faute de quoi, a-t-il estimé, « l’Europe disparaîtra. Et le monde sera structuré autour de deux grands pôles : les Etats-Unis d’Amérique et la Chine, et nous aurons le choix entre des dominations. »

Ayant rappelé, au début de son discours, que la stratégie française reposait sur la sécurité, la souveraineté et l’influence, le président Macron a dit vouloir « refonder la civilisation européenne » en faisant appel à « l’esprit français », c’est à dire un « esprit de résistance » qui, ne cèdant « pas à la facilité et à l’ordre ambiant », a vocation à l’universel. Il s’agit, a-t-il dit, de « rebâtir un imaginaire collectif » avec les « valeurs humanistes europénnes » [et donc en insistant sur les droits de l’Homme].

« Nous sommes les seuls pour qui l’immobilisme est mortel. Les autres peuvent avoir une stratégie non multilatérale, unilatérale ou bilatérale, nous non », a encore estimé M. Macron, à la fin de son [long] discours. Il faut, a-t-il contiuné, reviser les « schémas de pensée » et les « automatistes » dont en réinvestissant les instances internationales. « Ce que je vous invite très profondément à faire, c’est d’avoir cette audace et en quelque sorte cette liberté d’action très profonde », a -t-il lancé aux ambassaeurs.

Par ailleurs, le président Macron entend que la France, fortes de ses atouts [notamment militaires et diplomatiques] soit une « puissance d’équilibre » et non une « puissance alignée ». En clair, si elle a des alliées, la France doit préserver sa capacité à parler à tout le monde. Et donc, à la Russie.

Il faut « repenser notre lien avec la Russie » car la « pousser […] loin de l’Europe est une profonde erreur », a estimé le locataire de l’Élysée. « Il faut stratégiquement explorer les voies d’un tel rapprochement et y poser nos conditions », a-t-il continué, en utilisant la curieuse expression « d’État profond » pour évoquer les réticences qu’une telle politique à l’égard de Moscou pourrait susciter.

« Je sais que beaucoup d’entre vous parfois ont eu à travailler sur des dossiers dans lesquels tout les a conduits à avoir de la défiance à l’égard de la Russie, parfois à juste titre », a dit M. Macron aux diplomates. « Et je n’ai aucune naïveté en voulant restructurer cette relation », a-t-il assuré.

Toutefois, a poursuivi le président Macron, « nous sommes en Europe, et si nous ne savons pas à un moment donné faire quelque chose d’utile avec la Russie, nous resterons avec une tension profondément stérile, nous continuerons d’avoir des conflits gelés partout en Europe, à avoir une Europe qui est le théâtre d’une lutte stratégique entre les États-Unis et la Russie, donc à avoir des conséquences de la guerre froide sur notre sol. »

« Nous poussons la Russie soit à l’isolement qui accroît les tensions, soit à s’allier avec d’autres grandes puissances comme la Chine, ce qui ne serait pas du tout notre intérêt », a-t-il encore affirmé. Aussi, a-t-il ajouté, « il nous faut avancer pas à pas » et « stratégiquement explorer les voies d’un tel rapprochement et y poser nos conditions. »

Reste à voir si l’ours russe, qui entretient d’excellentes relations militaires et commerciales avec la Chine, acceptera de boire ce verre de la « réconciliation » que lui offre le président Macron [la rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, à Brégançon, le 19 août, n’a guère été encourageante…]. Et surtout, comment les autres pays européens, qui n’appartiennent pas forcément à l’Otan [comme la Suède et la Finlande] prendront la chose.

Photo : archive

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