Damas proteste contre la création d’une zone tampon dans le nord de la Syrie sous l’égide de la Turquie et des États-Unis

En évoquant une opération imminente contre les Unités de protection du peuple [YPG, milices kurdes syriennes] alors qu’une délégation militaire américaine était attendue à Ankara pour négocier les modalités d’une « zone de sécurité » dans le nord-est de la Syrie, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a-t-il fait de l’esbroufe? En tout cas, le résultat est là.

Le 7 août, le ministère turc de la Défense et l’ambassade des États-Unis à Ankara ont annoncé, chacun de leur côté, un accord visant à mettre « rapidement » en place un « centre d’opérations conjointes en Turquie pour coordonner gérer l’instauration d’une zone de sécurité » dans le nord-est de la Syrie.

Pour rappel, les autorités turques considèrent les milices kurdes syriennes comme terroristes, en raison de leur proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], une organisation armée d’extrême-gauche qui, initialement, souhaitait l’indépendance du Kurdistan turc. Or, les YPG ont tenu – et tiennent encore – un rôle déterminant dans le combat contre l’État islamique [EI ou Daesh], notamment au sein des Forces démocratiques syriennes [FDS], soutenues par la coalition emmenée par les États-Unis.

D’où la difficulté à trouver un terrain d’entente entre Ankara et Washington au sujet de cette « zone de sécurité ». Difficulté par ailleurs amplifée par la dégradation des relations diplomaties entre les deux capitales, en partie à cause de la livraison de systèmes russes de défense aérienne S-400 aux forces turques.

Pour le moment, aucun détail n’a été donné sur l’accord obtenu le 7 août. Au départ, le gouvernement turc voulait instaurer, sous le contrôle exclusif de ses forces armées et/ou des groupes rebelles syriens qu’il soutient, une zone tampon d’une largeur de 30 km dans le nord de la Syrie, à l’est de l’Euphrate.

Cependant, pour le président Erdogan, la création de ce centre d’opérations marque le « début du processus » visant mettre en place une « zone de sécurité ». Et d’ajouter : « Ce qui est important, c’est que nous prenions des mesures pour l’est de l’Euphrate. Et c’est ce qui est en train d’être fait avec les Américains. »

Pour le ministère turc de la Défense, cette « zone de sécurité » est appelée à devenir un « couloir de paix », où pourraient s’installer les réfugiés syriens [ils sont 3,6 millions en Turquie, ndlr].

Du côté des Kurdes syriennes, l’annonce de cet accord conclu entre les Turcs et les Américains a été accueilli avec prudence. Il « peut marquer le début d’une nouvelle approche, mais nous avons encore besoin de plus de détails », a confié, auprès de l’AFP, Aldar Khalil, un haut responsable politique kurde. « Nous évaluerons l’accord en fonction des détails et des faits, et non des gros titres », a-t-il assuré, avant de relever que le président Erdogan souhaitait toujours l’élimination des YPG…

En revanche, et comme on pouvait s’y attendre, Damas a fermement rejeté l’idée de cette zone de sécurité que comptent instaurer la Turquie et les États-Unis.

« La Syrie rejette catégoriquement l’accord des deux occupants américain et turc sur la création de ce qui est appelé zone de sécurité », a ainsi fait savoir le ministère syrien des Affaires étrangères, via l’agence officielle SANA.

« L’accord constitue une agression flagrante contre la souveraineté et l’unité territoriale syriennes ainsi qu’une violation des principes du droit international », a fait valoir la même source. Et d’ajouter : « La Syrie appelle la communauté internationale et les Nations unies à condamner cette agression américano-turque qui constitue une escalade dangereuse […] et sape tous les efforts visant à trouver une sortie à la crise syrienne. »

Cela étant, le régime syrien n’a pas les moyens de s’opposer à la mise en place de cette zone de sécurité. Et son allié russe ne fera rien pour s’y opposer, d’autant plus que, en janvier dernier, les présidents Poutine et Erdogan se sont mis d’accord pour « coordonner » leurs opérations en Syrie. En outre, il entre aussi en jeu la question de la province d’Idleb, qualifiée de « plus grand dépotoir de combattants terroristes étrangers au monde » dans un récent rapport de l’ONU. Cette dernière, qui a fait l’objet d’un accord conclu entre Moscou et Ankara en septembre 2018, est le théatre d’une offensive lancée en mai par Damas… avec un appui russe.

Par ailleurs, la Turquie, via les groupes armés syriens qu’elle soutient, contrôle déjà deux zones en Syrie : le canton d’Afrin et la région englobant les villes d’al-Bab et de Jarabulus.

Carte : situation en Syrie – 12/2018 – Liveuamap.com

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