Selon l’ONU, l’emprise des groupes jihadistes au Sahel et en Afrique de l’Ouest continue de croître

Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, a dit que, au Mali, « nous avons été exagérément optimistes en imaginant en 2013 que tout serait résolu et que la victoire éclair remportée contre les jihadistes se traduirait immédiatement en un succès politique » car « force est de constater que tel n’a pas été le cas. » Et d’estimer que, « malheureusement, les conditions d’une extension de la déstabilisation de la zone sont réunies. »

Certes, la force Barkhane, qui est à l’oeuvre depuis le 1er août 2014 dans la bande sahélo-saharienne [BSS] a obtenu des succès opérationnels significatifs, notamment en éliminant plusieurs chefs jihadistes de premier plan. Mais comme l’Hydre de Lerne, les groupes terroristes finissent par se régénérer… Et c’est ce qu’avance le 24e rapport de l’Équipe d’appui de surveillance des sanctions prises par les Nations unies à l’égard d’al-Qaïda et de l’État islamique [EI ou Daesh].

« L’ambition et l’emprise croissantes de groupes terroristes au Sahel et en Afrique de l’Ouest, où les combattants se réclamant d’Al-Qaida et de l’EI collaborent afin de saper l’autorité de juridictions nationales fragiles, comptent parmi les faits les plus marquants survenus à l’échelle internationale au cours de la période considérée. Le nombre d’États de la région susceptibles de voir les mouvements insurrectionnels du Sahel et du Nigéria franchir leurs frontières a augmenté », avance ce document.

Au Sahel et en Afrique de l’Ouest, les différents groupes jihadistes sont su se réorganiser pour faire face à la force Barkhane mais aussi à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali [MINUSMA] et aux forces armées locales.

Au Mali, et depuis mars 2017, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM ou JNIM pour Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimi] fédére, sous l’autorité Iyad Ag Ghali, dont Ansar Dine, al-Mourabitoune, l’Émirat de Tombouctou [ex-katiba sahélienne d’al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr], la Katiba Macina ou encore la katiba el-Kassam.

Le groupe Ansarul Islam est particulièrement actif au Burkina Faso, comme, a priori, l’État islamique dans le grand Sahara [EIGS]. Ce dernier est aussi solidement implanté au Mali et au Niger. En outre, tout laisse à penser qu’il a des liens avec l’organisation « Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique » [ISWAP], issue d’une scission du groupe nigérian Boko Haram.

« Il est possible que l’État islamique du Grand Sahara et le groupe Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique aient coopéré dans l’attaque des forces nigériennes commise à Tongo Tongo en mai 2019 [une embuscade ayant une vingtaine de tués, ndlr] et qu’ils soient en train d’établir une base de soutien logistique dans la ville de Sokoto, au Nigéria », indique le rapport de l’ONU. Ce qui ne va pas faciliter la tâche de la force Barkhane si cette information se vérifie.

Quoi qu’il en soit, l’Équipe de suivi de l’ONU avance que, « en Afrique de l’Ouest, la violence a monté en flèche sous l’influence d’affiliés de l’EI ou d’al-Qaida » et que leurs « activités de recrutement se sont multipliées ». En outre, poursuit-elle, la « porosité des frontières et le manque de moyens des autorités pour faire face à la menace grandissante aggravent la situation. »

Le nord du Mali reste le « centre de gravité » du GSIM. Il exerce une « influence décisive » en s’appuyant sur « plusieurs […] katibas pour poursuivre son objectif de radicalisation de la population », précise le rapport.

« Ansar Dine reste actif au nord de Kidal. L’Émirat de Tombouctou, situé au nord de Tombouctou, a bénéficié de l’attrition des effectifs d’Al Mourabitoune, toujours actif dans le secteur de Gao/Ansongo. La Katiba du Macina a réussi à établir un deuxième bastion pour le GSIM dans la région de Mopti-Hombori-Douentza et à la frontière avec le Burkina Faso, dans la
direction de Bobo-Dioulasso », détaille le document de l’ONU.

En outre, poursuit-il, les partisans du GSIM ont « ouvert environ 650 écoles dans la région, sur lesquelles ils exercent un contrôle, afin de transformer la société suivant les préceptes du groupe. » Ce qui n’augure rien de bon pour la suite…

Dans le centre du Mali, le rapport confirme que la « violence interethnique est alimentée par des groupes terroristes qui cherchent à favoriser la radicalisation » et précise que « Bah Ag Moussa facilite la liaison entre l’Émirat de Tombouctou et la Katiba du Macina qui s’est appuyée sur ses succès opérationnels pour créer une nouvelle zone d’opérations pour le GSIM ».

Enfin, la Katiba el-Kassem reste active à l’est de Tombouctou et dans la région de Ndaki, malgré l’élimination de son chef, en octobre 2018, tandis que la katiba Serma, présente au sude de Douentza et de Hombori, assure le lien entre le GSIM et le groupe burkinabè Ansaroul Islam.

Par ailleurs, le rapport de l’ONU confirme indirectement la mort du chef d’al-Mourabitoune, Mokhtar Belmokhtar, dans la mesure où il indique que ce dernier a été remplacé par Hamza al-Jazairi. Éliminé en février par la force Barkhane [et le détachement de forces spéciales Sabre], Djamel Okacha, alias Yahia Abou el Hammam, chef de l’Émirat de Tombouctou et resposable des opérations du GSIM, a été remplacé par Messaoud Benaireche, alias Abou Oussama al-Jazairi.

« La stratégie actuelle d’AQMI est de remplacer les personnalités de premier plan et les combattants de GSIM tués lors d’opérations antiterroristes par des combattants chevronnés en provenance de Libye », relève l’ONU.

Alors que deux touristes français avaient été enlevés, en mai, dans le parc national du Pendjari, au Bénin, le rapport indique que le « Parc national du W, situé à cheval sur le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, est en train de devenir un nouveau bastion pour les groupes terroristes de la région, notamment l’État islamique du Grand Sahara, qui continue de coopérer avec JNIM au Mali et au Niger. » Et d’ajouter que les « groupes terroristes implantés au Sahel
empiètent de plus en plus sur les frontières du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo. »

Une autre tendance préoccupante, au regard des « connexions » avec l’EIGS, est la montée en puissance continue de l’ISWAP, organisation qui, depuis mars, serait désormais dirigée par Abdullah Ibn Umar al-Barnawi, un fils de Mohammed Yusuf, le fondateur de Boko Haram. « Ce changement pourrait avoir conduit le groupe à durcir sa position en intensifiant son rythme opérationnel et en commettant des actes de violence exemplaires envers des prisonniers des forces de sécurité locales », explique le rapport de l’Équipe de suivi. « Le groupe invite aussi les combattants terroristes étrangers à se rendre dans sa zone d’opérations », note-t-il encore. Enfin, ses effectifs seraient conséquents puisqu’un État membre les estime à 4.000 jihadistes; ce qui en ferait la branche régionale la plus importante de l’EI.

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