Le char de combat du futur et le SCAF, voulus par Paris et Berlin, risquent-il d’être « paralysés » par les députés allemands?
Lors du dernier salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, le programme SCAF [Système de combat aérien du futur], conduit par la France, l’Allemagne et l’Espagne, a franchi un nouveau jalon avec la signature d’un accord-cadre décrit par le ministère des Armées comme étant un « véritable engagement juridique pour la construction d’un système complet d’avions de combat et de drones, qui entrera dans les forces armées d’ici 2040. »
Quant aux industriels impliqués dans ce programme conduit par la France, ils se sont mis en ordre de marche : Dassault Aviation assurera la maitrise d’oeuvre du New Generation Fighter [NGF], c’est à dire l’avion de combat sur lequel reposera le SCAF, tandis qu’Airbus se chargera du développement des drones et de l' »Air Combat Cloud ». S’agissant de la propulsion, Safran s’occupera de l’architecture et de l’intégration des moteurs pendant que MTU se concentrera sur les services.
Pour le moment, donc, tout est en ordre de marche. Seulement, dans le même temps, Paris et Berlin ont aussi lancé le programme MGCS [Main Ground Combat System], c’est à dire un projet de char du futur conduit sous maîtrise d’ouvrage allemande. Or, les choses sont devenues plus compliqué depuis que le groupe allemand Rheinmetall a fait part de son intention de mettre la main sur Krauss-Maffei Wegmann, engagé dans la co-entreprise KNDS avec le français Nexter Systems.
Pour résumer, Rheinmettal souhaiterait avoir la main sur le programme MGCS en prenant le contrôle de KNDS, ce qui marginaliserait Nexter, et donc les intérêts français. D’où le rappel constant de Paris : il n’est nullement question de revenir sur la règle des « 50-50 » qui régit ce projet. Et cela suscite quelques difficultés qui pourraient rejaillir sur le SCAF.
« Les progrès [du MGCS] sont difficiles. Autant il va de soi que Dassault et Airbus mettent en place le programme d’avions, autant le programme de chars implique des acteurs plutôt nouveaux comme Rheinmetall, par rapport à Krauss-Maffei-Wegmann par exemple et à son partenaire Nexter. [Cependant] nous ne pouvons pas complètement sous-estimer le caractère symétrique, en quelque sorte, du projet de SCAF et de celui de Main Ground Combat System, en termes d’organisation. Les difficultés de l’un peuvent influer sur l’autre puisque les deux mêmes directions de l’armement en sont chargées », avait récemment expliqué Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, lors d’une audition parlementaire.
Outre-Rhin, certains estiment que la conduite du MGCS par l’Allemagne n’est pas une « compensation crédible » à la maîtrise d’ouvrage française pour le SCAF. Ce point avait d’ailleurs été souligné par le député Jean-Charles Larsonneur, dans un rapport publié à l’automne 2018.
« Certains observateurs jugent inégale l’importance stratégique des programmes de SCAF et de MGCS et doutent pour cette raison que le leadership allemand du programme MGCS puisse être vu par les Allemands comme une compensation crédible du leadership français du programme de SCAF. D’ailleurs, font-ils valoir, la lettre d’intention signée en marge du sommet franco-allemand de Meseberg par Mme Florence Parly et son homologue allemande Ursula von der Leyen prévoit des coopérations autour du SCAF et du MGCS n’établissent pas clairement de répartition des leaderships par spécialité technologique. Aussi, si l’on suit cette logique, le partage des ‘briques’ technologiques au sein même de chaque projet pourrait faire l’objet de longues discussions », avait en effet expliqué le parlementaire.
Et cela éclaire les propos tenus par Florence Parly, la ministre des Armées, lors de son dernier passage devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, pour évoquer le rapport sur les exportations françaises d’armement.
« Il n’y a pas un pays au monde, me semble-t-il, dans lequel les industries de défense ne mènent pas une campagne active auprès des décideurs afin de promouvoir leurs produits, leurs équipements, leur activité. Si quelqu’un, ici, se sent à l’abri, qu’il me le dise… Mme von der Leyen a joué un rôle clé au moment où des parlementaires allemands, certainement très bien informés et instrumentalisés par plusieurs entreprises, souhaitaient instaurer un parallélisme absolu entre le projet de système de combat aérien du futur et le projet de char de combat du futur », a affirmé Mme Parly, qui n’a pas précisé, du moins cela ne figure pas dans le compte-rendu de son audition, l’identité des industriels en question.
Or, a-t-elle ajouté, « cette forme de parallélisation aurait en fait conduit à une véritable paralysie. » Et Ursula von der Leyen, qui vient de quitter la tête du ministère allemand de la Défense pour se préparer à diriger la Commission européenne a « eu le mérite d’avoir résisté vigoureusement à toutes ces tentatives – ce qui ne signifie pas, naturellement, que le Parlement allemand ne cherchera pas à poursuivre dans ce sens », a ensuite expliqué Mme Parly. « Il faut lui rendre hommage pour avoir récusé ce type de tentatives », a-t-elle insisté.
Et c’est d’ailleurs pour cette raison, a avancé la ministre, que Mme von der Leyen « était présente au salon du Bourget, au côté de notre homologue espagnole, pour poser la première pierre du système de combat aérien du futur, grâce à la signature d’un accord-cadre, alors que des parlementaires allemands voulaient obtenir un engagement équivalent et simultané sur le char de combat du futur, ce qui n’a pas été le cas. »
Depuis le salon du Bourget, Mme von der Leyen a été remplacée par Annegret Kramp-Karrenbauer, présentée comme étant la « dauphine » de la chancelière Angela Merkel. Fera-t-elle preuve de la même détermination? En tout cas, la presse d’outre-Rhin n’a pas cité le SCAF et le MGCS parmi les principaux chantiers qui attendent la nouvelle ministre allemande… Ministre qui n’a pas encore convaincu l’opinion car, selon un sondage publié ce 2 août, 65% des personnes interrogées ont estimé qu’elle n’était pas à sa place au ministère de la Défense…
Quoi qu’il en soit, Paris reste ferme s’agissant du MGCS. « Quelles que soient les intentions de Rheinmetall de prendre le contrôle de cette structure, il existe un accord avec des règles, un pacte, des actionnaires, parmi lesquels, du côté français, un actionnaire étatique », a fait valoir Mme Parly.
En outre, avec son collègue de l’Économie, Bruno Le Maire, elle a aussi « rappelé le char du combat du futur se ferait avec un acteur franco-allemand, à savoir KNDS » et qu’il était « hors de question de subordonner à des intérêts actionnariaux et patrimoniaux privés le bon déroulement d’un programme tel que le char de combat du futur », même si cela n’interdit pas à Rheinmetall de « participer à l’architecture ou à la construction de ce char. »
Quant aux règles en matière de ventes d’armes, lesquelles constituent un point de désaccord majeur entre Paris et Berlin, les discussions se poursuivent.
« Il ne s’agit pas du tout, pour la France, de s’aligner sur les règles d’exportation de l’Allemagne ; chacun demeure souverain. Mais il faut aussi pouvoir se mettre d’accord, par anticipation, sur ce qui engagera nos industries et déterminera des financements publics extrêmement significatifs, et pour de très nombreuses années. Je ne veux pas m’engager sur un délai, mais je peux vous dire que l’on continue à y travailler très activement », a assuré Mme Parly.
Photo : KNDS