Selon l’ONU, l’État islamique a étendu sa zone d’opérations dans la région du lac Tchad

Le communiqué qu’a publié la présidence nigériane, le 30 juillet, est surréaliste… « La position du gouvernement nigérian est que le terrorisme de Boko Haram a été réduit et vaincu. Le véritable Boko Haram que nous connaissons est vaincu » assure-t-il, alors que

Cependant, consent-il à admettre, il reste un « mélange de résidus de Boko Haram, de groupes criminels et de djihadistes originaires du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest, arrivés après la crise en Libye et l’effondrement de l’État islamique au Moyen-Orient ». Et d’ajouter : « En conséquence de ces gangs internationaux, nous avons assisté à une augmentation des crimes transfrontaliers et à la prolifération des armes légères dans le bassin du lac Tchad. »

Or, cette déclaration est en totale contradiction avec l’actualité la plus récente et les observations faites par les Nations unies.

Présent dans la région du Lac Tchad, le groupe jihadiste Boko Haram a lancé ses premières attaques en 2009, sous l’autorité Muhammed Yusuf.

Mis sur la défensive en 2015 grâce aux opérations conduites par la Force multinationale mixte [FMM], mise sur pied par le Nigeria, le Tchad, le Niger, le Cameroun et le Bénin, ainsi qu’à des sociétés militaires privées [SMP], cette organisation s’est scindée en deux factions rivales : l’une, « adoubée » par l’État islamique [EI], a pris le nom d’ISWAP [Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique] tandis que l’autre est restée fidèle à Abubakar Shekau, le successeur de Muhammed Yusuf.

Ces deux factions suivent une tactique différente. La première s’attaque surtout aux forces gouvernementales pendant que la seconde s’en prend essentiellement aux populations civiles, comme elle l’a d’ailleurs toujours fait.

À peine quelques jours avant la diffusion du communiqué de la président nigériane, la faction commandée par Abubakar Shekau a très vraisemblement été à l’origine du massacre de 65 personnes, commis dans un village proche de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno [nord-est du Nigéria].

En outre, un mois plus tôt, un triple attentat-suicide lors d’une rencontre de football à Konduga, dans la même région, avait fait une trentaine de tués. Et le mode opératoire portait la marque de la faction dirigée par Shekau.

Quant à l’ISWAP, elle a a multiplié les attaques contre les bases de l’armée nigériane, infligeant à cette dernière de lourdes pertes. Encore récemment, l’EI, via son agence de propagane Amaq, a revendiqué deux nouveaux assauts qui ont fait une quarantaine de morts et de blessés parmi les militaires nigérians.

L’enchaînement des revers subis face à l’ISWAP a suscité des mouvements d’humeur au sein de l’armée nigériane, certains soldats dénonçant le peu de cas qui était fait de leur sort à Abuja… Dans le même temps, grâce à ses attaques répétées contre des bases militaires, la branche de l’EI a pu se constituer un arsenal conséquent, complété par le trafic d’armes en provenance de la Corne de l’Afrique et du Moyen-Orient.

En outre, l’ISWAP a resserré ses liens avec l’État islamique dans le grand Sahara [EIGS], les attaques du second étant désormais revendiquées par la première…

Le dernier rapport sur la situation en Afrique de l’Ouest remis par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, au Conseil de sécurité, est à mille lieues du communiqué publié par Abuja…

« Malgré la lutte engagée contre le terrorisme, la ‘Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique’, faction de Boko Haram, a étendu sa zone d’opérations au cours de la période considérée. En janvier, Boko Haram a brièvement pris le contrôle de la ville de Rann [Nigéria]. Le groupe a continué d’utiliser des femmes kamikazes pour viser des civils et les forces de défense et de sécurité dans l’État de Borno », y lit-on.

« Les États du nord du Nigéria ont été le théâtre de 189 attaques terroristes entre janvier et avril : 453 personnes ont été tuées et 201 enlevées. La prétendue Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique a recouru de façon plus fréquente aux attentats-suicides à la voiture piégée pour viser les forces nationales de sécurité et la Force multinationale mixte dans les pays du bassin du lac Tchad », est-il encore avancé dans ce document.

« Au Niger, les forces armées nationales et régionales ont poursuivi leurs opérations contre Boko Haram et la prétendue Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique dans les îles du lac Tchad, et des victimes ont été déplorées parmi les civils et parmi les militaires. Au cours de la période à l’examen, le pays a été touché par une vague d’attentats au cours desquels plusieurs personnes ont été tuées ou enlevées », affirme ce rapport.

Cette estimation est partagée à Paris. « La situation autour du lac Tchad ne s’améliore pas et demande sans doute un effort accru de la communauté internationale », a en effet affirmé le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale.

« J’observe au passage que chaque fois que l’on déplore l’aggravation de la situation ou son absence de règlement rapide, certains sont prompts à imaginer que le remède est en fait la cause du mal et que c’est peut-être la présence des forces internationales et des armées françaises qui contribue à dérégler la situation dans cette zone », a tenu à faire remarquer le CEMA.

« Malheureusement, dans la région du lac Tchad, en particulier dans le nord du Nigeria, dans l’est du Niger ou dans le nord du Cameroun, cela n’est clairement pas la présence des forces occidentales ou internationales qui dégrade la situation. Celle-ci continue malgré tout à se dégrader de façon constante, appelant très rapidement, je pense, une réaction de la communauté internationale », a ensuite insisté le général Lecointre.

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