Le chef d’état-major des armées voit d’un mauvais oeil l’activité politique de certains généraux en 2e section

La Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 a assoupli les règles encadrant l’activité politique des militaires au niveau local. Auparavant, un militaire élu à un conseil municipal devait être mis dans une « position de détachement » alors prévue par l’ article L. 4138- 8 du code de la Défense.

En effet, tirant « les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ayant jugé non conforme à la Constitution l’incompatibilité générale entre le statut de militaire en service et l’exercice d’un mandat municipal », l’article 33 de la LPM précise que les « fonctions de militaire en position d’activité sont compatibles avec le mandat de conseiller municipal dans les communes de moins de 9 000 habitants et le mandat de conseiller communautaire dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant moins de 25 000 habitants. » En revanche, il précise que les « fonctions de maire, de maire délégué, d’adjoint au maire et d’adjoint au maire délégué sont incompatibles avec celles de militaire en position d’activité. »

Aussi, la LPM a marqué une certaine avancée dans ce domaine… Cela étant, ces dernières années, plusieurs officiers généraux placés en 2e section ont fait parler d’eux en raison de leurs engagements politiques. Tel a été le cas du général Christian Piquemal, qui a rejoint le « Conseil national de la résistance européenne » après avoir été interpellé par la police, à Calais, lors d’une manifestation « contre les migrants et l’islamisation de l’Europe », alors interdite.

Autre exemple : le général Bruno Dary s’est impliqué dans la « Manif pour tous », mouvement qui s’oppose au mariage entre personnes du même sexe. Et on peut encore citer le général Didier Tauzin, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles. « Nous sommes quelques officiers généraux tout à fait disposés à venir vous apprendre à faire de la politique. Éventuellement à prendre votre place si vous voulez partir, ce que, je pense, vous allez faire bientôt », affirma-t-il, en s’adressant au président Macron, sur sa page Facebook, en décembre dernier, en pleine crise des « gilets jaunes ».

Or, quand un général quitte le service actif, il est placé en 2e section. C’est à dire qu’ils restent à la disposition du ministre des Armées, qui peut faire appel à eux en cas de nécessité. Dans ce cas, ils retrouvent la 1ere section pour durée déterminée. Pour cela, ils perçoivent une « solde de réserve » dont le montant est équivalent à celui d’une pension de retraite mais qui est considéré comme un revenu d’activité sur le plan fiscal. Ce qui donne droit un abattement de 10% pour « frais professionnels ».

Aussi, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, voit d’un mauvais oeil l’activité politique de certains de ces généraux placés en 2e section. Et, en se gardant de citer des noms, il ne s’est pas privé de le dire lors de son dernier passage devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale.

Après avoir dit beaucoup apprécié le député Jean-Michel Jacques [*] parce qu’il fait de la politique « en respectant le devoir de réserve qui s’impose à tout militaire », le général Lecointre s’en est vivement pris aux généraux 2S qui, selon lui, ont pris quelques libertés avec leur statut.

« Je me suis exprimé tout à l’heure devant un certain nombre de généraux en 2e section en leur disant que je comprenais que M. Untel ait envie de faire de la politique et de s’engager pour être député, sénateur ou maire, mais que je ne comprenais pas que le général Untel en 2e section le fasse, et que si je comprenais bien que M. Untel prenne publiquement fait et cause pour telle ou telle liste, je ne comprenais pas que le général ou l’amiral Untel fasse des déclarations publiques de cette nature », a raconté le CEMA.

« Pour moi, c’est une remise en cause de la stricte neutralité politique des armées, qui est fondamentale et que nous devons préserver comme un bien extrêmement précieux », a estimé le général Lecointre.

L’engagement politique des généraux en 2e section est effectivement encadré. Ces règles ont d’ailleurs été rappelées dans une « notice à l’usage des officiers généraux » [.pdf], publiée en 2017.

« Les officiers généraux de la 2e section peuvent librement se porter candidat à toute fonction publique élective. Toutefois, eu égard à leur situation particulière qui les maintient à la disposition du ministre, l’usage veut qu’ils informent le ministre de leur candidature et, le cas échéant, de leur élection », précise ce document.

En outre, est-il indiqué dans cette notice, « l’officier général candidat à une élection peut faire état de son grade, en précisant son appartenance à la 2e section, mais il doit respecter le devoir de réserve et demeure lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et les informations dont il a eu connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions militaires. »

[*] M. Jean-Michel Jacques est un ancien infirmier de la Marine nationale, qui a notamment servi au sein des commandos marine. Il a été élu député avec l’étiquette LREM en 2017, ndlr

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Le général Bruno Dary a fait parvenir ce droit de réponse, que l’on publie volontiers :

« Monsieur et cher ami,

vous me permettrez de réagir au commentaire que vous avez écrit sur votre blog, à la suite de la déposition récente du CEMA à l’Assemblee Nationale ; en effet,  vous me citez nommément, ainsi que les généraux Piquemal et Tauzin. Si je les laisse libre de réagir ou non, vous me permettrez de vous faire part de mon point de vue.

Voici, pour mémoire, vos propos.

« …. la LPM a marqué une certaine avancée dans ce domaine… Cela étant, ces dernières années, plusieurs officiers généraux placés en 2e section ont fait parler d’eux en raison de leurs engagements politiques. Tel a été le cas du général Christian Piquemal…..

Autre exemple : le général Bruno Dary s’est impliqué dans la « Manif pour tous », mouvement qui s’oppose au mariage entre personnes du même sexe. Et on peut encore citer le général Didier Tauzin…..»

Dans ce domaine particulier, il faut avant tout savoir faire preuve de discernement, pour faire la différence entre le citoyen et l’officier général en 2° section.

Je me suis en effet engagé au profit de « La Manif Pour Tous » et c’est même ma fierté, d’abord d’avoir pris officiellement parti sur un tel sujet de société, comme le montrent d’ailleurs aujourd’hui les débats majeurs sur la bioéthique, et ensuite d’avoir pu mobiliser sur un sujet aussi fondamental autant de Français sur la voie publique, sans aucun incident, contrairement à de nombreuses autres manifestations plus récentes….

Mais je l’ai fait en ma qualité de citoyen français, qui participe au débat politique de son pays ! À cet égard, je vous mets au défi de trouver une seule de mes déclarations qui ferait état de mon état d’officier général en 2° section, où je me serais permis une critique envers le Chef de l’Etat, et où j’aurais remis en cause la hiérarchie militaire ou la politique de Défense !

J’ai d’ailleurs poursuivi parallèlement mes fonctions bénévoles de Président du Comité de la Flamme et de Président de la Saint-Cyrienne, sans que personne ne trouve à y redire…..

Que certains de vos confrères mettent mon grade en tête, relève d’abord d’un manque de discernement de leur part, et ensuite d’une recherche – consciente ou non – de polémique ! Car si le citoyen Bruno Dary n’intéresse en fait que peu de monde, le général, ancien Gouverneur Militaire de Paris, attire le regard des médias !

Mais le manque de discernement de nombreux commentateurs politiques ne m’empêchera pas de continuer à penser, à écrire, à agir ou à réagir simplement et clairement sur la scène politique, tout en veillant à éviter les polémiques de politique politicienne qui ne m’intéressent pas.

Je vous remercie d’avance de votre compréhension.

GAR (2s) Bruno Dary »

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