La Marine nationale veut faire évoluer la sociologie de ses officiers

Selon une étude publiée en 2010 [.pdf] par la sociologue Carine Le Page et le statisticien Jérôme Bensoussan, plus de 30% des militaires avaient au moins un membre de leur famille ayant fait une carrière sous l’uniforme.

« Quelle que soit l’armée, un tiers des militaires a évolué dans un environnement militaire [un des membres de la famille est militaire]. De même, que le militaire soit officier supérieur ou militaire du rang, la proportion de militaires présents dans l’environnement familial ne se distingue pas de manière significative, variant entre 31 % et 39 % d’une catégorie hiérarchique à l’autre », soulignait alors cette étude.

En outre, « le groupe des militaires recrutés en tant que militaires du rang et sous-officiers s’oppose à celui formé par les officiers : dans le premier, les militaires sont essentiellement issus de la classe des cadres moyens et de la classe ouvrière, même si une nette différence distingue les militaires du rang des sous-officiers quant à leur appartenance au milieu ouvrier [47% et 34%] et à celui des cadres moyens [19% et 28%]. En ce qui concerne les officiers, plus de 60% sont enfants de cadres supérieurs [34%] et de cadres moyens [27%] et seulement 14% sont enfants d’ouvriers », indiquait encore ce document.

Cela étant, la question qui se pose est celle de savoir si l’origine sociale a une influence sur la vocation – et donc la détermination – d’un jeune homme ou d’une jeune femme à faire une carrière militaire… En tout cas, pour l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], il serait souhaitable de faire évoluer la sociologie des officiers de marine. C’est en effet ce qu’il a expliqué lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, au début de ce mois.

« Les ressources humaines sont la question stratégique des dix ans à venir pour la marine. Il faut impérativement élargir les viviers de recrutement. Je recrutais 2.400 jeunes il y a 5 ans et j’en recrute 3.600 aujourd’hui, que je vais chercher là où nous n’allions pas. Je dois changer mes méthodes de recrutement, encourager les services de recrutement à aller voir ailleurs. Il s’agit également de la représentation de la marine qui n’est pas un monde à part mais reflète la société et doit, de ce fait, accroître sa mixité », a en effet affirmé le CEMM.

S’agissant de l’accès à l’École navale, l’amiral Prazuck a rappelé qu’il s’appuie désormais sur la « banque d’épreuves du concours de l’École centrale, précisément afin d’élargir la base de recrutement à des jeunes qui sont a priori étrangers au monde militaire. » Mais cette mesure n’a pas fait évoluer la sociologie des élèves de la « baille » alors qu’elle avait été justement décidée pour cela.

En effet, selon le CEMM, « la part des jeunes ayant préparé l’École navale dans des lycées militaires représente toujours 50 % des élèves, l’autre moitié étant issue de classes préparatoires civiles ». Et d’ajouter : « Le changement de concours avait vocation à faire évoluer cette sociologie mais, finalement, la proportion est restée à peu près identique. » Aussi, a-t-il continué, « c’est plutôt par d’autres formes de recrutement qu’elle est susceptible d’évoluer. »

« Je pense que le brassage sociologique peut être favorisé par les officiers sous contrat [OSC], dont le recrutement n’a fait l’objet d’aucune démarche active pendant longtemps », a ensuite estimé l’amiral Prazuck.

C’est à cette fin que la Marine nationale cherche à reprendre contact avec des jeunes dipômés de l’enseignement supérieur ayant échoué au concours d’entrée de l’École navale et qui se sont réorientés vers une autre voie, « ou qui fait une année de césure dans la Marine comme volontaire. »

« Nous avons allongé le cursus de formation des officiers sous contrat, en y incluant la mission Jeanne d’Arc, autrement dit 6 mois supplémentaires au contact des jeunes officiers de l’École navale », a rappelé le CEMM, pour qui ce « recrutement d’officiers sous contrat répond probablement mieux à certaines attentes de notre jeunesse, qui est toujours un peu inquiète à l’idée de signer un engagement pour 27 ans et est plus encline à signer un contrat de quelques années. » ET d’ajouter : « Nous en attendons une plus grande diversité sociologique, une plus grande variété de compétences ainsi qu’une mixité plus importante. »

La mixité justement. Là aussi, la Marine nationale veut l’encourager. « Je constate que le taux de mixité a augmenté de 0,3 %, ce qui est tout à fait insuffisant pour atteindre les 21 % que je vise en 2030, mais constitue peut-être un frémissement », a indiqué l’amiral Prazuck.

« La marine américaine est d’ailleurs féminisée à plus de 20 %. Certains porte-avions américains comportent 30 % de personnel féminin. Or il n’y a aucun doute quant à la capacité opérationnelle de nos camarades américains, pas plus qu’il n’y en a quant à celle de l’armée de l’air française qui est, elle, féminisée à 22 %. Qu’il s’agisse d’image, d’ouverture, de compétences, je suis certain des bénéfices que nous apportera une mixité élargie », a insisté le CEMM.

Selon le dernier bilan social de la Défense, le taux de féminisation de la Marine nationale est de 14,5% [30.012 hommes et 5.101 femmes]. Dans le détail, sur 4.559 officiers de marine, 510 sont des femmes [soit 11%]. Ce taux est plus élevé parmi les équipages de la flotte [16,5%] et les volontaires [25,7%].

Toujours d’après ce rapport, le taux de réussite au concours d’entrée à l’École navale [recrutement direct d’officiers] est de 2,5% pour les femmes [5 reçues sur les 203 qui se sont présentées] et de 7,7% pour les hommes [71 reçus sur 921].

« Je crois souhaitable de porter une attention particulière aux candidatures féminines à l’École navale, à chaque étape de la sélection. Entre l’admissibilité, l’oral et l’intégration, il y a beaucoup de déperdition. Dès cette année, nous allons tenter de mieux en comprendre les raisons », a ainsi constaté l’amiral Prazuck.

Effectivement, en 2018, sur les 328 candidates inscrites, 203 ont passé le concours. Puis 91 ont été déclarées admissibles et 5 ont donc été finalement définitivement admises.

Mais un autre chiffre n’a pas été commenté par le CEMM : celui des femmes candidates à un recrutement interne d’officiers de marine. En 2018, il n’y en a eu que 7 [contre 100 chez les hommes]. Pour comparer, il y en a eu 53 dans l’armée de l’Air [pour 253 hommes] et 85 dans l’armée de Terre [pour 594 hommes].

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