Exit l’expression « armée européenne », le président Macron parle désormais « d’agir ensemble »

Quand il s’agit d’évoquer les questions de défense entre Européens, encore faut-il utiliser les bonnes expressions pour se comprendre. Car, que l’on soit à Paris, à Berlin ou à Varsovie, les concepts et les mots n’ont pas forcément la même signification.

C’est en effet ce qu’a été souligné lors de l’examen par la commission sénatoriale des Affaires étrangères, la semaine passée, du rapport intitulé « Défense européenne : le défi de l’autonomie stratégique« .

« Nous utilisons souvent des termes intraduisibles ou difficilement traduisibles, par exemple ‘Europe de la défense’, cependant que d’autres n’ont pas le même sens d’un pays à l’autre », a en effet expliqué le sénateur Ronan Le Gleut, co-auteur du rapport avec Mme Hélène Conway-Mouret.

« Beaucoup d’incompréhensions avec nos partenaires européens proviennent d’ailleurs de divergences linguistiques et sémantiques : nous employons des expressions ambiguës, ou supportant mal la traduction, auxquelles chacun attribue une portée différente. Ainsi la France a longtemps parlé d »Europe de la défense’, expression intraduisible, auquel il convient de préférer celle de ‘défense européenne’, plus proche aussi de ce que souhaite la majorité des pays européens », lit-on, en effet, dans ce rapport.

L’expression « armée européenne », utilisée par le président Macron en novembre dernier, en est un autre exemple [« On ne protègera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne », avait-il lancé, ndlr].

Dans l’esprit du chef de l’État, il s’agissait de mettre en avant la nécessité pour les Européens de gagner en autonomie stratégique et de prendre en main leur défense sans avoir à compter sur les États-Unis. Et, il n’était en aucun cas question de « fusionner » les armées européennes en une seule. « CSP [coopération structurée permanente], Fonds de défense, personne ne comprend. Parler d’armée permet de faire comprendre que l’UE veut être en mesure d’assurer sa propre sécurité », expliqua, plus tard, Florence Parly, la ministre des Armées, dans un entretien donné à l’AFP.
Le souci est que cette expression n’a pas été comprise ainsi sous d’autres latitudes…

Notamment en Allemagne où, par exemple, expliquent les deux rapporteurs, le porte-parole sur les questions de défense au SPD [Parti social-démocrate], leur a indiqué qu’il était « était favorable à une armée européenne qui serait créée ex nihilo. »

Avant lui, Jean-Claude Juncker, le président sortant de la commission européenne, avait défendu l’idée d’une « armée commune européenne » qui « montrerait au monde qu’il n’y aura plus jamais de guerre entre les pays de l’UE [Union européenne]. »

Enfin, en janvier dernier, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez a estimé que « l’UE devrait progresser vers la création d’une véritable armée européenne et devenir une puissance crédible sur la scène internationale, plaidant pour un ordre mondial fondé sur l’État de droit et des règles communes ». Et d’ajouter : « Nous devons montrer au monde que l’Union européenne est ‘‘une puissance douce par choix, et non par faiblesse. »

Les deux rapporteurs, qui citent d’ailleurs le général Pierre de Villiers [« l’armée europénne est un rêve qui pourrait se terminer en cauchemar »], estiment qu’on est « bien loin d’une utopique ‘armée européenne’, idée cartésienne sans doute séduisante pour certains mais irréalisable à moyen terme, car une telle armée serait le signe d’une unification politique très avancée, qui a peu de chances d’advenir rapidement. »

« À quel chef obéirait une telle armée européenne? Selon quelles règles d’engagement? Les Européens sont-ils prêts à payer collectivement le prix du sang, dans le cadre d’une telle armée? Ne risquerait-on pas de créer une entité plus bureaucratique qu’opérationnelle, en raison des divisions de l’UE? », demandent M. Le Gleut et Mme Conway-Mouret.

En outre, « par essence fédéraliste, l’idée d’une armée européenne inquiète tous les Européens attachés à la souveraineté des nations. Mais, au-delà, ces termes inquiètent car ils engendrent la crainte qu’une protection jugée effective, celle de l’Otan, ne soit progressivement remplacée par un dispositif mal défini. La crainte d’un désengagement américain virtuel ne risque-t-elle pas, in fine, de rendre ce désengagement réel? C’est, implicitement, la question que plusieurs de nos interlocuteurs nous ont posée », expliquent les deux sénateurs. Aussi, estiment-ils, le terme d' »armée européenne » et même celui d' »autonomie stratégique » ne doivent « pas être employés à la légère », surtout s’il s’agit « d’encourager les coopérations, et de les expliquer au grand public en des termes simplifiés. »

En tout cas, lors de son discours prononcé à l’Hôtel de Brienne [siège du minitère des Armées, ndlr], le président Macron s’est gardé d’utiliser ces deux expressions au moment d’évoquer les coopérations européennes. À la place, il a défendu l’idée d' »agir ensemble ». Idée qui, d’ailleurs, est l’un des thèmes du défilé du 14-Juillet, cette année.

« C’est une priorité de mon mandat : faire en sorte de conduire les nations européennes à agir ensemble en matière de défense. Agir ensemble, ce n’est ni renoncer, ni abaisser la souveraineté nationale, ni, évidemment, renoncer à l’Alliance atlantique […] Mais se dire que développer des équipements communs et des capacités collectives a du sens », a déclaré Emmanuel Macron.

« Avec les 34 projets mis en oeuvre dans le cadre de la Coopération structurée permanente, avec le Fonds européen de défense, nous avons avancé comme jamais depuis deux ans. De même avec le Système de combat aérien du futur, le SCAF, conduit en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne », a ensuite rappelé le chef de l’État.

« Agir ensemble, c’est faire en sorte également de construire une culture stratégique commune pour demain er pouvoir envisager des engagements opérationnels conjoints », a continué le président Macron, en faisant référence à l’Initiative européenne d’intervention, qui fédère dix pays du Vieux Continent.

« Agir ensemble, c’est tout simplement se dire qu’additionner nos atouts peut nous permettre de gagner en force, en efficacité. C’est acter le fait que notre Europe est aussi une Europe qui protège et que cette mission pour tous nos peuples est cele qui la rendra encore plus crédible », a encore insisté M. Macron.

Photo : ministère des Armées

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