La hausse des inaptitudes médicales et des antécédents judiciaires réduit le vivier de recrutement des armées
Alors que, après des années de déflation, les effectifs militaires sont censés repartir à la hausse, il a été constaté, en 2018, que les dépenses de personnel du ministère des Armées [titre II] ont été inférieures de 210 millions d’euros par rapport aux prévisions de la Loi de finances initiales [LFI].
Si cela a permis d’absorber une partie des surcoûts liés aux opérations extérieures [OPEX] et aux mission intérieures [MISSINT], ce n’est toutefois pas une bonne nouvelle car cette sous-consommation de crédits traduit un problème concernant la fidélisation des personnels les plus qualifiés et expérimentés et l’attractivité du ministère des Armées.
S’agissant de la fidélisation, le sénateur Dominique de Legge, auteur d’un rapport sur la politique des ressources humaines suivie par le ministère des Armées, estime que c’est un « problème majeur » dans la mesure où il est susceptible de « mettre en péril la capacité opérationnelle des armées. »
Ainsi, explique-t-il, ce problème « touche notamment les spécialités marquées par leur caractère aride ou répétitif [fusiliers], ainsi que celles en concurrence directe avec le secteur privé [atomiciens, maintenanciers aéronautiques, etc.] ». Et d’ajouter : « De manière générale, les armées sont confrontées à un raccourcissement de la durée des contrats des nouveaux recrutés et à des taux de renouvellement des contrats trop faibles pour optimiser les coûts de formation et disposer de soldats ayant une bonne expérience opérationnelle. »
Aussi, des mesures indemnitaires ont été prises, comme la prime de lien au service, « spécifiquement créée pour faire face aux difficultés de fidélisation du ministère ». Si cela va dans le bon sens, estime le sénateur, son montant « apparaît toutefois trop faible pour offrir une solution durable, qui passe davantage par une amélioration générale de la condition militaire. »
« Les montants proposés pour certaines spécialités, eu égard aux durées retenues, risquent toutefois d’être trop faibles pour être réellement efficaces et résoudre les problèmes de fidélisation rencontrés. Les officiers-mariniers de la spécialité ‘exploitation nucléaire de défense’ de la Force océanique stratégique, par exemple, pourront se voir proposer une prime de 25.000 euros sur 5 ans, qui apparait comme étant inférieure, au moins de moitié, à l’augmentation de rémunération, de l’ordre de 1.000 euros mensuels39, que peuvent obtenir ces derniers dans le secteur privé », explique M. de Legge.
Par ailleurs, l’incertitude liée à la réforme du système de retraites ou encore à Nouvelle politique de rémunération des militaires [NPRM] peuvent jouer sur la fidélisation.
S’agissant de la NPRM, il est question de réorganiser la partie indemnitaire de la solde des militaire autour de blocs « indemnisant une seule sujétion ou primant un seul domaine », l’idée étant de pouvoir remplacer 80 primes existantes. Seraient pris en compte la disponibilité, l’absence pour raison opérationnelle, les exigences liées aux milieux d’emploi et les compétences spécifiques, les qualifications, la responsabilité et la performance ainsi que les les charges liées aux mutations imposées.
Quoi qu’il en soit, observe le sénateur, et « en dépit des mesures de revalorisation spécifiques, le niveau général de rémunération des militaires apparaît faible, en comparaison des armées alliées et des autres emplois de la fonction publique. »
Par ailleurs, le recrutement, c’est à dire l’attractivité, risque de devenir un vrai sujet dans les années à venir. Et le problème ne tient pas à la « quantité » mais à la « qualité ».
« La réalisation des cibles de recrutement ne pose, au niveau général, pas de difficulté majeure. Les résultats apparaissent toutefois plus fragiles sur le plan qualitatif : la sélectivité baisse, les viviers apparaissent plus fragiles [inaptitudes médicales plus fortes, augmentation des candidats ayant des antécédents judiciaires], et une importante ‘déperdition’ de candidats subsiste entre le premier contact dans les centres de recrutement et l’incorporation, ainsi que lors de la période probatoire », relève M. de Legge.
Le souci est que, depuis 2015, le nombre de candidats pour un poste tend à diminuer. La situation n’est pas encore critique pour le recrutement des officiers [16,5 candidats pour une place en 2017]. En revanche, elle l’est pour les sous-officiers [2,6 candidats pour une place] et pour les militaires du rang [1,6 candidat pour une place, soit -0,6 par rapportà 2015].
« La sélectivité varie fortement en fonction des métiers proposés. Si certaines unités continuent d’attirer de très nombreux candidats, de nombreuses spécialités restent régulièrement déficitaires. Au sein de l’armée de terre, les spécialistes des systèmes d’information et de communication [SIC] restent ainsi recherchés. Certaines spécialités affichent des déficits importants, comme celle de cuisinier, de mécanicien, ou encore de pilote d’engin blindé », souligne le rapporteur.
Or, en plus de cette baisse de la sélectivité, le vivier de recrutement tend aussi à se dégrader, avec une hausse des taux d’inaptitude temporaire ou définitive.
« Cet aspect est particulièrement sensible pour l’armée de Terre : la proportion d’inaptes définitifs parmi les candidats ayant effectué les épreuves de sélection est passée de 4,6 % à 5,6 % entre 2011 et 2016, celle des inaptes temporaires de 14,2 % à 18,4 %. Au total, la proportion des candidats au recrutement immédiatement aptes est passée de 83 % à 76,3 % entre 2011 et 2016 », avance M. de Legge. Qui plus est, il est aussi observé une augmentation de la proportion de candidats ayant eu affaire avec la justice…
Pour corser la donne, il y a aussi une « forte déperdition » des candidats. « Cette dernière intervient à tous les stades du processus du recrutement : entre le premier contact et l’ouverture formelle d’un dossier de recrutement, puis lors du passage en commission d’examen jusqu’à l’incorporation en unité », explique le sénateur.
Pour l’armée de l’Air, ce « taux d’attrition » est significatif puiqu’il a été de l’ordre de 38,3% en 2017 [non réponse aux convocations, inaptitude médicale, désistement en cours d’évaluation].
Enfin, ce « taux d’attrition » est amplifié par le taux de dénonciation du contrat d’engagement durant la péridode probatoire. Et selon M. de Legge, il est « élevé » pour les militaires du rang, connaissant une « hausse significative depuis 2014 ». L’effet « Sentinelle », sans doute.