L’armée de l’Air veut améliorer ses capacités en matière de « suppression des défenses adverses ennemies »

Lors des interventions de l’Otan dans les Balkans, durant les années 1990, les missions dites SEAD [Suppression of Enemy Air Defences / Suppression des défenses aériennes ennemies] représentèrent une part significative des sorties aériennes. Ce qui n’empêcha pas la perte de plusieurs appareils, comme un Mirage 2000NK2 de l’escadron 2/3 Champagne au-dessus de Pale [Bosnie-Herzégovine, opération Deliberate Force] ou encore, lors de l’opération Allied Force, au Kosovo, d’un F-117 « Nighthawk », un appareil « furtif » pourtant détecté [a priori] par un vieux radar P18 « Spoon Rest D » fonctionnant sur la bande des fréquences VHF [30-300 Mhz].

Pour autant, en 1999, l’armée de l’Air retira du service ses AS-37 Martel, c’est à dire des missiles moyenne-portée anti-radar, sans avoir de quoi les remplacer pour assurer les missions SEAD. À l’époque, il était estimé que cette capacité allait devenir secondaire : la Guerre Froide était terminée et les probables futurs engagements se feraient dans des environnements faiblement constestés ou défendus, comme ce fut le cas en Libye, par exemple, par des capacités anti-aériennes anciennes, principalement d’origine soviétique.

Pour autant, les forces aériennes françaises [armée de l’Air et aéronautique navale] ne sont pas pour autant dans l’incapacité à mener des missions dites SEAD. Ainsi, par exemple, les vols à très basse altitude, c’est à dire en deçà des limites des radars adverses, est une solution. Comme réduire, autant que possible, la predictibilité des trajectoires des raids. Le renseignement d’origine électromagnétique [ROEM] constitue un autre moyen, dans la mesure où il permet d’établir l’ordre de bataille électronique [OdBE] de l’adversaire et déterminer ainsi si des radars sont actifs près d’une zone où les chasseurs-bombardiers doivent intervenir. Ce qui cela suppose une prise de risques que certaines de leurs homologues ne sont pas prêtes à accepter.

Par ailleurs, l’armée de l’Air mise aussi sur la survivavibilité, avec le SPECTRA [Système de protection et d’évitement des conduites de tir du Rafale], qui se compose de détecteurs multispectraux [radar, infrarouge, laser], de brouilleurs et de leurres. Mais aussi performant soit-il [ce que tend à démontrer les exercices auxquels des Rafale ont participé, comme lors de MACE XIX, en 2018, où ils ont été confrontés à des systèmes d’origine russe S-300P en Slovaquies], ce système est nécessaire mais pas suffisant.

Pour détruire des défenses aérienne adverses, l’armée de l’Air et l’Aéronautique navale peuvent avoir recours aux missiles de croisière SCALP, ces derniers permettant de frapper une cible de haute valeur à distance de sécurité. Mais au regard du prix de ces munitions et de leur nombre en service, ce serait chercher à écraser une mouche avec un marteau… En Libye, l’utilisation de l’Armement Air Sol Modulaire [AASM] contre les anciens SA-3 et SA-8 des forces du régime du colonel Kadhafi aura fait ses preuves… mais à condition, là encore, d’assumer une prise de risque quand il s’agira de faire face à des systèmes plus récents.

Car le contexte depuis le retrait des AS-37 Martel a changé, avec le retour de la menace dite de la force, de la politique de puissance affichée par certains États prêts à s’assoir sur le droit international pour atteindre leurs objectifs. Dans le même temps, et via le jeu des alliances géopolitiques, on assiste à une prolifération des capacités de déni et d’interdiction d’accès,qui se sont [a priori] améliorées et qui continueront à se perfectionner. En clair, les moyens mis en oeuvre par les forces aériennes françaises en matière de SEAD seront insuffisantes.

Or, les Livres blancs sur la Défense et la sécurité nationale [LBDSN] publiés en 2008 et en 2013, comme la Revue stratégique de 2017, insistent sur l’importance pour les forces françaises d’avoir la capacité d’entrée en premier, c’est à dire de pouvoir pénétrer les espaces contestés. Ce qui suppose de disposer de capacités SEAD performantes.

« La liberté d’action dans la troisième dimension est un préalable à toutes nos opérations militaires. Il ne faut jamais l’oublier. Il s’agit là d’un enjeu majeur selon moi qui doit alimenter les réflexions de l’avenir de notre système de combat aérien », avait ainsi affirmé le général André Lanata, l’ex-chef d’état-major de l’armée de l’Air [CEMAA], lors d’une audition parlementaire. Et son successeur, le général Philippe Lavigne, ne dit pas autre chose.

La Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 n’évoque la capacité SEAD qu’à une seule reprise… pour dire qu’elle devra faire l’objet, comme d’autres [action dans l’espace exo-atmosphérique, de coordination I3D] d’un « effort particulier » afin de permettre un « effet d’entrainement au profit de nos partenaires. »

Pour autant, l’armée de l’Air entend remédier à son déficit capacitaire dans ce domaine, si l’on en juge par le document de prospective qu’elle a récemment publié.

« Cette stratégie de déni d’accès remet en cause notre liberté d’action, essentielle pour mettre en œuvre les modes d’action les plus efficaces. Ces dernières décennies, ces modes d’actions se sont largement appuyés sur le maintien de la supériorité aérienne complète ou locale et sur la confiance dans les signaux satellitaires de type GPS pour assurer la navigation aérienne et le guidage des armes. Ces deux points ne sont plus acquis aujourd’hui », est-il constaté dans ce document.

Aussi, il n’est pas possible de rester les bras croisés… « L’armée de l’Air a pour ambition de disposer le plus rapidement possible d’armements capables de neutraliser les défenses aériennes ennemies », lit-on encore.

Et des travaux ont d’ores et déjà été lancés à cette fin. Le document de prospective de l’armée de l’Air parle « d’augmenter la portée des armes pour atteindre ces batteries de missiles antiaériens en
maintenant les avions hors de portée, y compris à long rayon d’action [plusieurs centaines de kilomètres] » et « d’améliorer la survie des munitions afin qu’elles ne soient pas détruites avant d’atteindre leurs cibles. » S’agit-il du programme FMAN/FMC [Futur Missile Antinavire / Futur missile de croisière], mené en coopération avec le Royaume-Uni en vue de trouver un successeur au missile SCALP?

« Parallèlement, il faut développer les capacités de détection de ces cibles à très grande distance, déterminer leur position précise, pouvoir les suivre lorsqu’elles sont mobiles, puis les atteindre
alors qu’elles sont en mouvement, de jour comme de nuit, y compris par mauvais temps’, pousuit l’armée de l’air.

« Enfin, les études se concentrent sur le développement de la capacité des munitions à voler en meute, c’est-à-dire naviguer de manière coordonnée vers ces cibles. Cela nécessite que les munitions puissent dialoguer entre elles, s’appuyant sur la connectivité et l’intelligence artificielle pour adapter leur trajectoire », conclut-elle. D’où l’intérêt des « effecteurs connectés« … pour saturer les défenses adverses.

On aurait pu imaginer qu’un drone de combat furtif, comme le démonstrateur nEUROn, allait donner des idées en matière de SEAD. De tels appareils pourraient en effet déjouer les radars adverses pour ensuite soit communiquer leurs positions en vue d’une frappe réalisée par un chasseur-bombardier se tenant à distance de sécurité, soit tirer lui-même des missiles sur les défenses aériennes à neutraliser. Visiblement, cette solution n’a pas été retenue… comme d’ailleurs le développement d’un successeur de l’AS-37 Martel.

Photo : armée de l’Air

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]