Pourquoi les forces armées sont-elles « globalement étanches » à la radicalisation religieuse ou politique?

Le 26 juin, les députés Éric Poulliat [LREM] et Éric Diard [LR] ont remis un rapport intitulé « Les services publics face à la radicalisation » et dont les grandes lignes ont abondamment commentées par la presse.

Avant toute chose, les rapporteurs précisent qu’ils entendent par « radicalisation » tout processus menant vers un « extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux. » Étant donné le « contexte post-attentats », ils se sont intéressés « au premier chef à la radicalisation islamiste » mais « sans exclure d’autres types possibles de radicalisation ».

Reste que, à en croire ces parlementaires, la radicalisation serait un phénomène « marginal » dans les services publics. Toutefois, leur rapport met en avant quelques « zones d’ombres », notamment dans les secteurs de la santé, des transports, de l’enseignement supérieur [universités] et du milieu pénitentiaire.

S’agissant des forces armées, il s’avère qu’elles sont « globalement étanches » à la radicalisation, qu’elle soit religieuse ou politique. « Par essence, l’institution militaire est peu permissive, ne laissant ainsi que peu de place à des comportements incompatibles avec le service de la nation et les valeurs républicaines », avancent les deux députés, qui, dans leur rapport, ont surtout évoqué les cas de radicalisation parmi le personnel militaire mais fait l’impasse sur le personnel civil de la défense [parce qu’il n’y a rien à signaler?].

En 2016, l’ex-DPSD [devenue depuis la DRSD pour Direction du renseignement et de la Sécurité de la Défense, ndlr] avait indiqué qu’elle suivait une cinquantaine de cas de radicalisation parmi les militaires. Trois ans plus tard, ce niveau n’a pratiquement pas évolué.

« Au sein de l’armée de Terre, la radicalisation, qu’elle soit islamique ou politique, apparaît marginale. La proportion de suspicion de radicalisation est évaluée à 0,05 % », indique le rapport de MM. Poulliat et Éric Diard.

Sachant que les effectifs de l’armée de Terre s’élevaient, en 2018, à 114.468 militaires, on en déduit qu’il y a, actuellement, 57 cas de radicalisation « islamique ou politique ». Voire sans doute moins car, a priori, le rapport tient compte aussi de ses 24.000 réservistes opérationnels de premier niveau.

« Après une hausse des signalements en 2016 et une stabilisation en 2017, le nombre des signalements a baissé en 2018. Il s’agit essentiellement de cas d’islam radical [mais aussi d’ultra-droite, principalement dans la réserve] », précisent en effet les rapporteurs.

S’agissant de la Marine nationale, 0,03% de ses 37.800 marins feraient l’objet d’une suspicion de radicalisation. Soit 11 cas au total.

« Aucun marin ne fait l’objet d’une fiche S ni n’est inscrit au FSPRT [Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste] », soulignent les deux députés. Et d’ajouter : « Cette étanchéité vis-à-vis de la radicalisation peut s’expliquer par le fait que les périodes où les marins sont à terre sont trop courtes pour être propices au prosélytisme. » Enfin, précisent-ils, le « cas de radicalisation ayant conduit à affecter une personne dans un poste très peu exposé a concerné l’ultra-droite. »

Quant à l’armée de l’Air, aucun de ses aviateurs « n’est actuellement suivi pour radicalisation clairement démontrée », lit-on dans le rapport. Mais ce dernier fait cependant état de « quelques cas isolés de militaires du rang et de sous-officiers dont le changement d’apparence physique [port de la barbe, etc.] ou de comportement [vestimentaire, mode de vie, pratique religieuse, etc.], les relations, le prosélytisme ou la fréquentation de certaines mosquées justifient une attention accrue. »

« Ces dossiers sont en nombre très limité et, à ce stade, présentent majoritairement des signaux faibles » et « seulement un quart » d’entre-eux fait l’objet d’une surveillance renforcée, les autres ne faisant aujourd’hui que l’objet d’une veille, à titre préventif, au regard d’une relation à l’islam assez fluctuante », avancent les rapporteurs, lesquels soulignent que « le plus souvent, les signalements concernent des militaires convertis à l’islam. »

Enfin, pour la Gendarmerie, où le suivi des cas de radicalisation ne relève pas de la DRSD mais du Bureau de la lutte antiterroriste [BLAT] de la Direction des opérations et de l’emploi [DOE], en lien avec la Direction générale de la sécurité intérieure [DGSI], le nombre de militaires faisant l’objet d’un soupçon de radicalisation est « extrêmement faible [à mettre en relation avec l’effectif total d’environ 130 000 gendarmes, dont 100.000 gendarmes d’active et 30.000 réservistes] », indique le rapport, qui précise par ailleurs que la « détection est facilitée par la vie en caserne. »

Quoi qu’il en soit, pour la DRSD, citée par les rapporteurs, « le niveau de la menace du fait de la radicalisation liée à l’islam jihadiste sunnite au sein du ministère des Armées est aujourd’hui considéré comme faible, à la fois du fait du profil mais également du volume de personnel concerné. »

Il faut dire que plusieurs mesures ont été prises au niveau du ministère des Armées comme à celui des états-major.

« L’armée de Terre a mis en place une chaîne des officiers de protection du personnel [OPP]. Il s’agit de cadres insérés dans les régiments et vers qui convergent les informations concernant d’éventuelles radicalisations. Ils sont en contact avec les forces de sécurité intérieure et le poste DRSD et sont placés sous les ordres de l’officier de sécurité. Les échanges fréquents entre le référent islam radical, le commandement et la DRSD permettent de réaliser un suivi des effectifs surveillés », est-il expliqué dans le rapport. Des dispositifs similaires ont été mis en place au sein des autres armées.

Mais le travail se fait surtout en amont, c’est à dire au moment du recrutement. Une enquête de sécurité est systématiquement réalisée en vue d’écarter « tout candidat présentant des signaux, même faibles, de radicalisation. »

« Chaque candidat fait l’objet d’un ‘contrôle élémentaire’, qui vise à évaluer le degré de confiance qui peut lui être accordé. Ce contrôle est conduit par les personnels du Centre national des habilitations défense [CNHD], dépendant de la DRSD. Le casier judiciaire, les antécédents, etc., sont étudiés », relève le rapport.

Dans le cas de la radicalisation « a posteriori » d’un militaire, la DRSD enquête, dans un premier temps, à charge et à décharge. Si le signalement est confirmé, alors elle peut proposer des « mesures d’entrave », comme la non-habilitation à certains emplois ou stages.

Enfin, le cas échéant, deux solutions sont possibles : soit le non-renouvellement du contrat du militaire concerné [« ce qui permet aux forces armées de se séparer des personnes concernées, sans se placer en porte-à-faux vis-à-vis d’elles », dixit les rapporteurs], soit le recours à une procédure contradictoire susceptible de donner lieu à une radiation pure et simple des cadres, la décision relevant d’un « conseil » présidé par un conseiller d’État et comprenant quatre officiers généraux issus des trois armées et de la Gendarmerie, le directeur des ressources humaines du ministère des Armées, un officier général « représentant la force armée ou la formation rattachée dont relève le militaire en cause » et d’un contrôleur général des armées de 1re section. »

Reste le cas des anciens militaires… « Le nombre de ceux ayant rejoint les filières du jihad est de l’ordre d’une trentaine », indique le rapport. « Au vu de leur profil et de celui des militaires ayant été écartés de l’institution pour radicalisation, rien ne permet de conclure qu’ils avaient rejoint l’armée dans le but délibéré d’acquérir un savoir-faire en vue de conduire des actions terroristes », précise-t-il.

Et d’insister : « La très grande majorité des anciens militaires candidats aux filières djihadistes n’avait fait qu’un bref passage sous les armes et est partie pour le Levant plusieurs années plus tard. »

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