Sénat : Le président de la commission de la Défense « descend » le drone européen MALE RPAS

Dans le cadre de l’examen du projet de loi visant à ratifier le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 22 janvier en vue de renforcer la coopération franco-allemande, notamment dans le domaine militaire, Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a remis un rapport qui a été examiné par les sénateurs le 26 juin.

Pour rappel, le traité d’Aix-la-Chapelle instaure une clause de d’assistance mutuelle et prévoit que la France et l’Allemagne approfondissent leur coopération en matière de politique étrangère et de défense tout en « s’efforçant de renforcer la capacité d’action autonome de l’Europe ». Les deux pays ont convenu de se consulter afin de « de définir des positions communes sur toute décision importante touchant leurs intérêts communs et d’agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible. »

Et cela passera par un renforcement de la coopération entre les forces françaises et allemandes « en vue d’instaurerune culture commune et d’opérer des déploiements conjoints ». Le texte ajoute que les deux pays « entendent favoriser la compétitivité et la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne » et qu’ils « élaboreront une approche commune en matière d’exportation d’armements en ce qui concerne les projets conjoints », c’est à dire pour le char de combat futur [MGCS pour Main Ground Combat System], le Système de combat aérien futur [SCAF], le drone MALE RPAS ou encore leprogramme MAWS [Maritime Airborne Warfare Systems – aviation de patrouille maritime].

Or, la France et l’Allemagne n’ont pas la même approche en matière de ventes d’équipements militaires… Et Berlin va jusqu’à donner des leçons aux autres capitales européennes qui ne partagent pas ses vues… Or, sur ce point comme sur d’autres, le rapport de M. Cambon est plutôt édulcoré par rapport aux propos qu’il a tenus en commission…

« Les exportations d’armements constituent la partie irritante de notre coopération. Les Allemands, pour des raisons politiques et de concurrence commerciale, et avec une bonne dose d’hypocrisie sachant ce que fait Rheinmetal via sa filière sud-africaine, bloquent actuellement des ventes d’armement français », a lancé M. Cambon devant ses collègues. « Ainsi, Thales ne peut pas livrer des matériels aux Émirats à cause d’une seule pièce usinée en Allemagne présente sur ses radars! », s’est-il insurgé.

« Le traité d’Aix-la-Chapelle vise à faire sauter ce verrou », a ensuite rappelé M. Cambon. Seulement, a-t-il relevé, « les discussions sont en cours pour conclure de nouveaux ‘accords Debré-Schmidt’ [conclu en 1971/72, ndlr] n’ont pour l’instant pas abouti. »

« Le contexte politique outre-Rhin depuis 2018 est très sensible sur cette question, ce qui explique notamment l’annonce de la suspension des exportations vers les pays participant directement au conflit au Yémen. Mais les difficultés créées pour les industriels français risquent de les pousser à fabriquer des armements […] sans composants allemands du tout. Nos industriels réfléchissent actuellement à cette solution », a ensuite prévenu M. Cambon.

Le rapport du président de commission des Affaires étrangères et de la Défense évoque par ailleurs le programme MGCS, conduit par l’Allemagne, pour souligner qu’une « certaine incertitude pèse sur ce projet du fait de l’actuelle volonté de l’entreprise allemande Rheinmetall de s’emparer de KNDS [société commune à parts égales de Nexter et de l’allemand KMW], même si la ministre des armées se veut rassurante en affirmant que le Gouvernement est opposé à cette opération. »

En commission, M. Cambon en a remis une couche. « Certes, la ministre des armées se veut rassurante, mais l’équilibre industriel entre les deux partenaires doit être respecté : 50/50, c’est 50/50! », a-t-il affirmé. « La commission a mis en garde à plusieurs reprises sur le fait que cette question peut devenir bloquante à terme », a-t-il averti. Aussi a-t-il pris rendez-vous avec le président de la commission de la défense allemand, Wolfgang Hellmich, pour lui « parler très clairement de ce sujet. »

Mais les flêches les plus acérées du président Cambon auront été pour le programme de drone MALE européen, ou MALE RPAS, conduit par Airbus Defence & Space, en partenariat avec Dassault Aviation et Leonardo.

« La coopération franco-allemande est lancée, aux côtés de l’Espagne et de l’Italie, l’objectif étant de parvenir à un contrat global en 2019 », a commencé par rappeler M. Cambon, avant de dénoncer l’orientation de ce projet.

« La France dénonce depuis le début de ce projet un problème d »obésité’, en raison des spécifications allemandes », a souligné le sénateur. « Avec deux moteurs et un poids de dix tonnes, ce drone sera trop lourd, trop cher et donc difficile à exporter », a-t-il estimé.

Effectivement, si la masse de cet appareil doit approcher les 10 tonnes, alors il serait aussi cinq fois plus lourd qu’un drone MQ-9 Reaper [2 tonnes à vide, 4 tonnes avec sa charge utile et ses armements]… Pour rappel, la masse d’un Rafale, à vide, est aussi d’environ 10 tonnes.

« Nous avons besoin de ce drone au Mali et dans le massif des Adrar des Ifoghas, les Allemands, eux, souhaitent faire de la surveillance urbaine au-dessus de leur territoire. Ils veulent donc deux moteurs pour des raisons de sécurité, le drone ne pouvant pas s’écraser sur une ville », a expliqué M. Cambon. « La France a demandé à revoir la copie. Mais enfin, le projet est sur les rails! », a-t-il conclu, un brin fataliste.

Quoi qu’il en soit, Européens en général et Français et Allemands en particulier, sont condamnés à coopérer selon M. Cambon. « Il est indispensable d’avancer de concert sur l’ensemble de ces projets, même si cela s’annonce difficile, les industriels de défense préférant se mettre en situation de concurrence plutôt que de coopérer », car le « choix est pourtant clair : c’est faire ensemble ou mourir », a-t-il estimé.

En effet, a-t-il poursuivi, les « coûts de développement sont tels pour le futur avion de combat que si nous ne le construisons pas ensemble, nos futurs avions seront américains, voire chinois. » Or, « l’ensemble des investissements à réaliser se monte à 25 milliards d’euros. Compte tenu de l’état de nos finances publiques, inutile de vous dire que nous ne sommes pas en mesure de financer seuls un tel projet », a-t-il fait valoir.

Photo : OCCAR

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]