Comme en Belgique, l’appel d’offres sur les futurs avions de combat canadiens est « pipé », accuse le Pdg de Dassault Aviation

Il n’y a pas encore si longtemps, Dassault Aviation espérait voir le Rafale être choisi par Ottawa pour remplacer les CF-18 « Hornet » de l’Aviation royale canadienne. Le Pdg du constructeur français, Éric Trappier, s’était même dit « très volontariste » sur ce dossier.

En 2010, le Canada avait annoncé son intention d’acquérir 65 F-35A, l’avion développé par Lockheed-Martin dans le cadre du programme Joint Strike Fighter, auquel l’industrie aéronautique canadienne participe encore actuellement. Mais devant la polémique, portant notamment sur les coûts de ce projet, Ottawa fit machine arrière, avant de promettre le lancement d’un appel d’offres.

Peu avant d’arriver au pouvoir, à l’automne 2015, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, avait assuré qu’il ne serait pas question pour le Canada d’acquérir des avions F-35. Et il revint même à la charge, un an plus tard, en affirmant que cet appareil « ne fonctionnait pas » et qu’il « était loin de pouvoir fonctionner ».

Par la suite, Boeing, autre prétendant au marché canadien avec le F/A-18 Super Hornet, se risqua à un bras de fer avec Ottawa en s’en prenant à Bombardier, qu’il accusa de concurrence déloyale pour avoir bénéficié de subventions afin de développer son avion C-Series. Et on pouvait penser que le constructeur américain avait grillé ses chances… Ce qui donnait l’illusion d’une possible victoire du Rafale au Canada, d’autant plus que Dassault Aviation était prêt à y mettre le paquet, comme l’avait assuré Yves Robins, son directeur des relations extérieures, en 2014.

« Le Rafale répond parfaitement aux besoins des forces armées canadiennes et pourrait procurer davantage de retombées économiques que le F-35. […] Nous proposons de transférer l’intégrité de l’entretien, de la maintenance, de la modernisation de l’avion ici au Canada auprès des industries canadiennes, avec les droits de propriétés intellectuelles et tous les transferts de technologie pour lesquels nous avons l’autorisation du gouvernement français, sans aucune restriction », avait indiqué un ce responsable.

Pourtant, malgré ce volontarisme affiché, Dassault Aviation décida d’abandonner la partie. Lors d’un audition à l’Assemblée nationale, Éric Trappier a livré quelques explications. Et cette décision est liée au fait que le Canada appartient au cercle « Five Eyes », une alliance qui, formée après la Seconde Guerre Mondiale, réunit les services de renseignement américains, britanniques, canadiens, australiens et néo-zélandais

« Soyons clairs : il est impossible de vendre le Rafale aux pays membres du réseau Five Eyes, non pas parce qu’il n’est pas interopérable – il l’est tout autant que d’autres et en a fait la preuve -mais parce que ce réseau s’est fixé des règles qu’ils refusent de nous communiquer et qui visent à ce que ses membres travaillent ensemble », a ainsi avancé le Pdg de Dassault Aviation.

Pourtant, son appartenance à l’alliance « Five Eyes » n’empêcha nullement l’Australie à se procurer des Mirage III dans les années 1960. Autre époque, autres moeurs, sans doute…

En outre, a poursuivi M. Trappier, « s’ajoute au Canada la question du commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, le NORAD. » Et « nous avons donc posé des questions avant de prendre position. In fine, la position de Dassault a été prise par la France qui, en consultation avec l’entreprise, a estimé que compte tenu de cette contrainte, nous ne pourrions pas nous engager », a-t-il dit.

« Si les Canadiens tiennent vraiment à acheter un avion de combat autre que le F-35 ou tout autre avion américain, abandonneront-ils le programme F-35? Or il a été confirmé à plusieurs reprises qu’ils restaient impliqués dans ce programme. En d’autres termes, ils ont payé une partie de ce que leur demandaient les Américains, en contrepartie de quoi ils bénéficient de quelques emplois et de contrats passés entre Lockheed et des sociétés canadiennes », a ensuite précisé le patron de Dassault Aviation.

« Je pense que le Canada achètera un avion américain – au pire le F-35, au mieux le F-18, ou inversement. Pourquoi dès lors perdre du temps, de l’argent et de l’énergie, l’État devant lui aussi être largement mobilisé, si les règles du jeu sont pipées? », a demandé M. Trappier.

Lors de son audition, ce dernier a employé une seconde fois qualificatif « pipé »… Pas pour pour le Canada mais pour la Belgique, qui a choisi le F-35A aux dépens du Rafale et de l’Eurofighter Typhoon.

« Les militaires belges étaient tout à fait en faveur des Américains. En outre […], la situation politique en Belgique est un peu compliquée, puisque les divisions entre les partis se doublent de clivages entre les sensibilités wallone, flamande et bruxelloise… Après un combat assez âpre, le Premier ministre belge a été obligé, peu avant les élections, de se rendre à l’évidence, à savoir qu’il lui faudrait suivre les militaires, qui soutenaient par principe le matériel américain. Au vu des conditions qui nous ont été faites, nous pouvons dire que le jeu était pipé d’avance », a en effet déploré M. Trappier.

D’ailleurs, Dassault Aviation ne se faisait guère d’illusion sur ce marché. « En fait, dès le début, nous savions qu’ils accorderaient les contrats d’avions aux Américains, les blindés aux Français, et que, dans le domaine naval, et notamment dans le domaine de la guerre des mines, le jeu serait plus ouvert. Une espèce de répartition s’opère ainsi. Évidemment, si vous le dites aux autorités belges, elles vous répondront qu’il n’en est rien et qu’il s’agissait de vrais appels d’offres, que les Français auraient pu tous les remporter. En vérité, les Américains se taillent la part du lion, parce qu’un contrat de F-35, ce n’est pas tout à fait pareil qu’un contrat de blindés qui doit tourner autour d’un milliard d’euros », a-t-il expliqué.

Et de conclure : « Les avions, cela représente beaucoup, beaucoup, beaucoup plus. Les Américains ne s’y trompent jamais, eux qui poussent en premier leurs avions de combat. »

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