Sous l’égide des talibans, al-Qaïda se renforce en Afghanistan, où l’EI perd du terrain
S’il est régulièrement fait écho des problèmes qui minent les forces de sécurité afghanes [corruption, lacunes capacitaires dans les domaines de la logistique et du soutien sanitaire, désertions, lourdes pertes, etc], il n’en reste pas moins que le mouvement taleb afghan connaît également quelques difficultés.
Ainsi, dans un rapport remis le 13 juin [.pdf], l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions, mise en place dans le cadre de la résolution 1988 relative à l’Afghanistan et adoptée en 2011 par le Conseil de sécurité des Nations unie, indique que le cessez-le-feu observé lors de la fête de l’Aïd-el-Fitr, en juin 2018, a décontenancé la hiérarchie des taliban.
De même que « l’ouverture inattendue de négociations directes avec les États-Unis », les « attaques menées avec succès contre de nombreux commandants de rang intermédiaire » et « divers édits religieux par lesquels le conflit en Afghanistan a été déclaré illégal en vertu des principes de l’Islam. »
Ainsi, lors du cessez-le-feu, entre 25.000 et 30.000 taliban, entrés dans villes et les villages contrôlés par le gouvernement afghan, auraient établi des « contacts directs et pacifiques avec des agents de l’État et des membres des Forces nationales de défense et de sécurité afghanes. » Il a même été rapporté des scènes de fraternisation. Et, à en croire le rapport de l’Équipe des Nations unies, cela a été très mal vécu par les cadres de haut rang du mouvement taleb, qui y vont des gestes de trahison.
Ils ont « commencé à enjoindre aux commandants taliban de mettre leurs membres en garde contre ces interactions et ont qualifié ces comportements de trahison. Cet ordre étant largement ignoré par les hommes du rang, les Taliban ont publié le 17 juin [2018] une déclaration dans laquelle ils ont ordonné à tous leurs combattants de quitter les zones contrôlées par le Gouvernement avant le coucher du soleil du même jour et de reprendre le jihad contre le Gouvernement afghan », lit-on dans le rapport.
Par la suite, tous les commandants taliban n’ayant pas empêché ces scènes de fraternisation ont été remplacés par des responsables plus radicaux.
Sur le plan militaire, le bilan du mouvement taleb est contrasté. Certes, il a lancé des offensives en vue de s’emparer d’une capitale provinciale [comme celle de Ghazni], sans pour autant réussir à s’y maintenir, malgré les effectifs engagés. En revanche, il accentué son emprise certaines zones rurales, grâce à l’abandon, par les forces afghanes, des postes avancés isolés. Comme l’a récemment indiqué un général afghan, ces dernières se regroupent désormais dans des bases plus grandes.
« Nous voulons réduire leur nombre [les postes avancés, ndlr] et établir des bases solides dès maintenant », a en effet confié, à l’AFP, le général Dadan Lawang, selon qui « environ 50% » des pertes subies ces dernières l’ont été dans ces postes de contrôle.
« Au cours de la période considérée, les Taliban et les forces gouvernementales se sont disputé le contrôle de 40 % à 50 % du territoire afghan, et 25 à 30 districts seraient désormais entièrement aux mains des premiers, soit environ deux fois plus que ce qu’indiqué par l’Équipe de surveillance dans son neuvième rapport », lit-on dans le document de l’ONU.
Dans le même temps, ce dernier souligne que les troupes afghanes et les forces internationales [Otan] ont infligé de lourdes pertes aux taliban, notamment lors des offensives menées dans les districts clés de la province du Helmand.
Quoi qu’il en soit, le mouvement taleb a quelques atouts en main. En premier lieu, il ne semble pas avoir de problèmes pour recruter, y compris parmi la diaspora afghane. Et leurs finances se portent très bien, grâce au trafic d’opium et d’héroïne [400 millions de dollars de recettes par an], aux activités criminelles et aux apports de généraux donateurs du Moyen-Orient. Il se pourrait aussi qu’il bénéficie d’appuis extérieurs sur le plan opérationnel.
« Le niveau élevé de compétence opérationnelle a conduit certains responsables locaux de la sécurité à accuser les taliban de bénéficier d’un appui et de conseils extérieurs », affirme le rapport, qui note également que l’arsenal du mouvement taleb s’est enrichi de » de nouveaux dispositifs de vision nocturne et de fusils de précision. »
L’Équipe de l’ONU ne donne pas plus de précision à ce sujet. En revanche, elle assure que le mouvement taleb reste « le principal partenaire de tous les groupes terroristes qui opèrent en Afghanistan, à l’exception de l’État-Islamique ». Et il entretient toujours des liens étroits avec al-Qaïda, le réseau Haqqani [basé au Pakistan], le Lashkar-e-Taïba, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan le Mouvement islamique du Turkestan oriental et près d’une vingtaine d’organisations d’envergure régionale et mondiale.
« En échange d’une protection et de la possibilité de poursuivre leurs propres activités, les combattants étrangers restent aussi nombreux à opérer sous l’autorité des taliban dans plusieurs provinces afghanes », souligne le rapport.
De son côté, poursuit-il, al-Qaïda « continue de voir l’Afghanistan comme un sanctuaire pour ses dirigeants, du fait de ses liens solides et de longue date avec les taliban ». En outre, l’organisation fondée par Oussama ben Laden « a gagné en puissance en agissant sous l’égide des Taliban dans tout l’Afghanistan et est plus active que ces dernières années » et « cherche à renforcer sa présence dans la province de Badakhchan, plus spécialement dans le district de Chighnan, qui a une frontière commune avec le Tadjikistan. »
Le rapport de l’Équipe des Nations unies précise qu’al-Qaïda entretient aussi des liens « étroits » avec le Lashkar e-Taïba et le réseau Haqqani et qu’elle « a entrepris d’étoffer ses effectifs concentrés dans la zone frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan. »
Enfin, al-Qaïda met à la disposition du mouvement taleb des « enseignants religieux » ainsi que des « instructeurs ».
Ainsi, « la présence active de chefs et de conseillers d’al-Qaida dans le Helmand et le Kandahar est fréquemment signalée », indique le rapport, qui évoque aussi l’arrivée en Afghanistan d’un « certain nombre de militants » de l’organisation « venus d’Égypte. »
Quant à la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique [EI-K], elle peine à maintenir son influence en Afghanistan, même si elle a revendiqué plusieurs attentats meutriers, commis notamment contre la communauté chiite. En effet, ses tentatives pour gagner de nouveaux territoires ont toutes échouées [soit par l’action des forces afghanes, soit par celle des taliban]. Et les rangs de ses responsables « s’éclaircissent continuellement », note le rapport. « Le groupe ne tient plus qu’un petit nombre de poches dans le district d’Achin de la province du Nangarhar », précise-t-il.
Photo : Ayman al-Zawahiri, le chef d’al-Qaïda