Le port de Darwin contrôlé par un groupe chinois, l’Australie songe à en construire un autre pour ses activités militaires
Au début des années 2010, et dans le cadre du « pivot » américain vers la région Indo-Pacifique, Washington et Canberra décidèrent de renforcer significativement leur coopération militaire, avec notamment le déploiement de 1.200, puis de 2.500, soldats de l’US Marine Corps et des escales fréquentes de navires de l’US Navy dans le nord de l’Australie, plus précisément dans l’État dit des « Territoires du Nord ». Et le port [en eaux profondes] de Darwin allait donc tenir un rôle crucial.
Seulement, en 2015, alors qu’il était en manque de liquidités, le gouvernement des Territoires du Nord crut faire une excellente affaire en concédant, pour 99 ans, la gestion du port de Darwin à la société Landbridge Industry Australia. Malgré son nom, cette dernière est en réalité une filiale du groupe Shandong Landbridge Group, dont le principale actionnaire, le milliardaire Ye Cheng, est un proche du Parti communiste chinois. Tellement proche que, en 2013, il fut désigné comme étant l’un des dix plus importants « acteurs du développement de la défense nationale ».
En 2016, M. Ye expliqua que l’investissement dans le port de Darwin s’inscrivait dans la stratégie de son groupe, laquelle consistait à accroître ses participations dans les domaines du transport maritime et de l’énergie. Et d’ajouter qu’il s’agissait aussi de servir la politique étrangère chinoise, notamment l’initiative « One Belt, One Road » [c’est à dire les nouvelles routes de la soie, ndlr].
Cette concession fut accordée à Landbridge Industry Australia malgré les réserves du ministère australien de la Défense et des agences de renseignement du pays. Ainsi, la Royal Australian Navy fit valoir que le port de Darwin avait pour elle une « importance vitale ».
« C’est une idée stupide de la part d’un gouvernement [celui des Territoires du Nord, ndlr] qui n’a vraiment pas réfléchi aux conséquences. Et même s’il l’avait fait, il était prêt à ignorer les coûts à long terme, à la fois financiers et stratégiques, qu’il allait infliger au reste du pays », a commenté Neil James, le directeur exécutif de l’Australian Defence Association [ADA], dans les colonnes d’ABC Australia, en mars 2019.
Cependant, il fut avancé que le ministère australien de la Défense n’avait pas exprimé d’objection à la privatisation du port de Darwin et que l’accès à ce dernier allait être garanti à la Royal Australian Navy étant donné que les Territoires du Nord en resteraient actionnaires à hauteur de 20%.
Sauf que, depuis, il s’est avéré que la Commission d’évaluation des investissements étrangers ne mena aucune enquête officielle sur ce projet d’accord [pour des raisons législatives, a priori] et que les hauts responsables du ministère australien de la Défense furent en réalité mis devant le fait accompli. Quant aux 506 millions de dollars australiens récupérés par le gouvernement des Territoires du Nord, il n’en déjà reste plus rien… Et il emprunte même jusqu’à 4 millions par jour pour assurer son fonctionnement…
« En accordant la concession du port commercial de Darwin à une personne risquant d’être un adversaire potentiel lors des 99 prochaines années, c’est comme si on avait loué ce port aux Japonais en 1938 », fulmine Neil James. En tout cas, cela lui donne la possibilité d’avoir une idée précise de tous les mouvements de navires militaires [australiens, américains et, plus généralement, alliés] au large de Darwin. Voire d’entraver les opérations de la marine australienne.
Aussi, selon ABC, qui cite des sources gouvernementales australiennes, Canberra envisage sérieusement de construire un autre port en eaux profondes à Glyde Point, soit à 40 km, environ, de celui de Darwin, l’idée étant de pouvoir disposer d’infrastructures permettant l’accueil de navires d’assaut amphibie et, donc, d’une base navale qui serait à l’abri des regards indiscrets.
A priori, ce nouveau port aurait également des activités commerciales, ce qui non seulement en ferait un concurrent direct de celui de Darwin et réduirait la valeur de l’investissement de Landbridge Industry Australia. Pour autant, la filiale du groupe chinois n’est pas préoccupée par cette annonce, dont les modalités sont encore floues. « Cela n’arrivera pas avant 10 ou 20 ans », a estimé Terry O’Connor, le directeur général du port de Landbridge.